Dignité
« L’Eglise voit dans l’homme, dans chaque homme, l’image vivante de Dieu lui-même ; image qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus profondément sa pleine explication dans le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l’homme et de l’homme à lui-même »
Compendium § 105
Qu’est-ce que la dignité de l’homme ?
La pensée sociale chrétienne est fondée sur une vision de l’homme qui lui reconnaît une dignité incomparable et inaliénable :
« L’Eglise voit dans l’homme, dans chaque homme, l’image vivante de Dieu lui-même ; image qui trouve et est appelée à retrouver toujours plus profondément sa pleine explication dans le mystère du Christ, Image parfaite de Dieu, Révélateur de Dieu à l’homme et de l’homme à lui-même »
Compendium chapitre 3, La personne humaine et ses droits,
doctrine sociale et principe personnaliste, § 105.
Notre vision de l’homme, de la société, et de l’entreprise en particulier, est nécessairement inspirée de cette dignité fondamentale et, en la reconnaissant en tout homme, oriente notre regard vers l’unicité de chaque personne, une et unique. D’où découle une attitude que Benoît XVI développe dans Caritas In Veritate : l’homme depuis son origine, créé gratuitement par Dieu à Son image et à Sa ressemblance, est destiné au don et à la communion, en surabondance, au-delà du temps, avec tous les autres et avec Dieu.
La personne humaine, douée de raison, se caractérise par sa liberté intrinsèque qui lui donne la capacité d’agir et d’inventer sa vie. Au-delà de l’individu, la personne est donc responsable d’elle-même et de sa relation avec les autres… et avec Dieu, qui l’appelle à vivre pleinement.
Les autres êtres vivants sont offerts à l’homme, mais l’homme les surpasse tous.
Ainsi dans le second récit de la Création, en Genèse 2, 18-25 : « Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra ». Avec de la terre, il modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’était des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. (…) Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde ». Autrement dit, les autres êtres vivants sont offerts à l’homme, mais l’homme les surpasse tous. Et il ne peut communiquer (être le vis-à-vis) qu’avec les autres hommes (et femmes)… et avec Dieu, qui leur rendait visite en se promenant « dans le jardin à la brise du jour »…
Malheureusement il est également libre de vouloir se cacher de Lui et de ne plus oser Le rencontrer face à face… Cependant la dignité intrinsèque de l’homme n’est pas enlevée par la chute originelle.
La pénibilité du travail et la responsabilité de l’homme dans la Genèse
Et il est intéressant de faire le lien avec le travail dans la suite du récit de la Genèse 3, 17-19 : « Dieu dit enfin à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé le fruit de l’arbre que je t’avais interdit de manger : maudit soit le sol à cause de toi ! C’est dans la peine que tu en tireras ta nourriture, tous les jours de ta vie. De lui-même, il te donnera épines et chardons, mais tu auras ta nourriture en cultivant les champs. C’est à la sueur de ton visage que tu gagneras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu proviens ; car tu es poussière et à la poussière tu retourneras ».
La pénibilité du travail « à la sueur de ton visage » ne semble être due ici qu’au sol qui devient source de mauvaises plantes autant que de bonnes, et non à une malédiction contre l’homme. Le « labeur » qu’est le travail d’après l’étymologie latine (labor) peut encore devenir « œuvre » (opus, autre mot latin) selon la destination qu’on lui donne : selon qu’il est pour soi, simplement pour survivre matériellement, ou pour un but plus large, coopérer avec et pour d’autres. C’est une distinction importante reprise très clairement par Hanna Arendt dans La condition de l’homme moderne publié en 1958, qui décrit également sa liberté, vue comme « capacité d’introduire du nouveau ».
L’homme se voit confier plus largement une grande responsabilité envers tout ce qui l’entoure.
Mais il est aussi atteint par le péché, qui a un aspect social, en ce qu’il touche ses relations avec les autres, lorsqu’il agit « contre la justice dans les rapports de personne à personne, de la personne avec la communauté, ou encore de la communauté avec la personne. (..) ou contre le bien commun et contre ses exigences, dans toute la vaste sphère des droits et des devoirs des citoyens », nous dit le Compendium (§ 118). Parmi les erreurs à éviter, le texte cite :
« La personne ne peut être pensée uniquement comme une individualité absolue, bâtie par soi-même et pour soi-même, comme si ses caractéristiques propres ne dépendaient pas d’autre chose que d’elle-même. Elle ne peut pas être pensée comme la pure cellule d’un organisme disposé à ne lui reconnaître, tout au plus, qu’un rôle fonctionnel à l’intérieur d’un système ».
La personne est un sujet capable de conscience et de liberté, qui ne saurait en conséquence être manipulé ou finalisé à un quelconque projet.
Ainsi, dans le cadre du travail, la personne doit à la fois être considérée comme responsable et agissante, par sa nature même, mais n’être sollicitée qu’en fonction de ses capacités et de ses possibilités de croissance, c’est-à-dire sans encourir d’humiliation due à un trop grand asservissement ou à un échec prévisible.
Sur le premier risque, Simone Weil décrit très bien le risque de n’avoir aucun espoir d’en sortir dans la condition ouvrière de son temps (en 1942 : Condition première d’un travail non servile) :
« Il y a dans le travail des mains et en général dans le travail d’exécution, qui est le travail proprement dit, un élément irréductible de servitude que même une parfaite équité sociale n’effacerait pas. C’est le fait qu’il est gouverné par la nécessité, non par la finalité. On l’exécute à cause d’un besoin, non en vue d’un bien ; « parce qu’on a besoin de gagner sa vie », comme disent ceux qui y passent leur existence. On fournit un effort au terme duquel, à tous égards, on n’aura pas autre chose que ce qu’on a. Sans cet effort on perdrait ce qu’on a ».
Les conditions matérielles du travail industriel ont bien changé depuis cette époque, qui est celle des Temps Modernes, mais le danger de frustration et de poids excessif des contraintes, que celles-ci viennent de la machine, de la matière ou de l’encadrement, est toujours présent, et l’on n’a jamais autant parlé de souffrance au travail.
Le second risque est celui, inverse, où l’on voudrait libérer tous les salariés de cadres jugés trop contraignants et stérilisants pour leur capacité d’invention, d’innovation, d’autonomie. Et si cette « libération » est effectuée sans discernement sur la vocation et la capacité de chacun à le remplir, elle peut créer autant de stress que la première situation. C’est aussi un cas de figure rencontré de nos jours, où l’appel à être performant n’a jamais été aussi fort, ce qui n’est pas supportable par tous, y compris parmi les jeunes qui ont besoin d’accompagnement pour apprendre à travailler avant de devenir pleinement autonomes.
C’est respecter la dignité de chacun que de reconnaître ses limites pour ne pas le mettre en situation d’échec.
La liberté et la subsidiarité s’éduquent et ne sont pas exercées par tous également et spontanément. C’est respecter la dignité de chacun que de reconnaître ses limites pour ne pas le mettre en situation d’échec.
Enfin qui dit dignité et liberté dit aussi participation et accès à des droits. La participation est traitée dans un autre thème. L’accès aux droits relève du plan politique, mais il comporte un volet social auquel les entrepreneurs chrétiens sont nécessairement sensibles. Il s’agit de comprendre ces droits juridiques en fonction de leur objectif, qui doit toujours être orienté vers le bien des personnes, sans lequel le bien commun n’est qu’un concept vide. Ainsi de la liberté d’expression qui doit respecter celle des autres, de la liberté de conscience qui peut amener à discuter certaines pratiques, ou dans l’entreprise du dialogue social qui ne saurait être contourné, mais plutôt anticipé pour les Entrepreneurs et Dirigeants chrétiens.
En outre, selon Caritas In Veritate, quand nous aurons fait œuvre de justice, et donné à chacun la place qui lui revient, nous n’aurons encore rien fait. C’est dans le don et la gratuité, qui s’ajoutent et s’entremêlent dans cette situation « juste », que nous avancerons assez loin « au large », dans nos entreprises ou vers les périphéries qui nous attendent.
Rédigé par la commission Sources Bibliques et Théologiques des EDC, ce cahier fait partie d’une série sur les principes de la Pensée sociale chrétienne au sein des entreprises. Il sera envoyé par voie postale aux […]
Eclairages de fond
- Le respect de la dignité fonde la Pensée sociale chrétienne
-
Le respect de la dignité de l’homme fonde la Doctrine sociale de l’Eglise
La Doctrine sociale de l’Eglise a pour objectif d’inviter les hommes à construire une société qui réponde au principe de dignité : tout homme est une créature aimée de Dieu, un être de relation, libre, responsable, unique et infiniment digne, sauvé par la Croix du Christ.
- Chaque personne est libre et capable d'atteindre la vérité
-
Dignité : chaque personne est libre et capable d’atteindre la vérité
Dignité de l’homme : La capacité d’accéder à la vérité et à la liberté sont des prérogatives de l’homme du fait qu’il est créé à l’image de son Créateur, le Dieu vrai et juste. Seul de toutes les créatures visibles, l’homme est “capable de connaître et d’aimer son Créateur”.
- Anthropologie et dignité : l'homme est un être de relation
-
Anthropologie et dignité : l’homme est un être de relation
« Dieu n’a pas créé l’homme comme un “être solitaire”, mais il l’a voulu comme un “être social”. La vie sociale n’est donc pas extérieure à l’homme : il ne peut croître et réaliser sa vocation qu’en relation avec les autres. » Une vision chrétienne et selon la Doctrine sociale de l’Eglise de la personne humaine.
- Le travail, chemin d'accomplissement de l'homme
-
Le travail est un chemin de croissance pour l’homme
Par son travail, l’homme ne transforme pas seulement les choses et la société, il se transforme lui-même. Il apprend, développe ses facultés, sort de lui-même, se dépasse. Ainsi, il contribue aussi à développer la société par son propre progrès.
- Le travail est au coeur de la dignité de la personne
-
Le travail est au coeur de la dignité de la personne
L’être humain travaille à la fois pour se nourrir, lui et sa famille, pour se socialiser, pour se réaliser et pour transformer le monde. Cette dernière motivation peut être en fait la première, spontanée, même chez les enfants. En quoi le travail est-il donc un facteur de croissance de sa dignité ?
- Toute personne est unique et respectable
-
Dignité : toute personne est unique et également respectable
Dans l’entreprise, chaque collaborateur est de la même façon unique et également respectable. Sa participation, aussi petite soit-elle, manquerait à l’ensemble, s’il ne l’apportait pas.
- Extrait du cahier "La dignité de l'homme au coeur de l'entreprise"
-
Extrait – La dignité au coeur de l’entreprise
Extrait du cahier des EDC : La dignité au cœur de l’entreprise La dignité de la personne au cœur de la pratique du dirigeant L’infinie dignité de tout homme conduit à mettre l’amour fraternel au cœur […]
- Diversité et complexité des relations de la personne avec le travail
-
Diversité et complexité des relations de la personne avec le travail
Ce que l’on peut d’abord souligner, c’est la complexité et la diversité de la relation des hommes et des femmes avec le travail. Et cette complexité, cette diversité, n’est pas seulement liée à la nature du travail : intellectuel, manuel, au statut des personnes : patrons, cadres, salariés, ouvriers, au lieu d’exercice du travail : libéral, grande entreprise, PME, artisan, même si ces facteurs interviennent pour nuancer ou expliquer les réactions individuelles.
- Réflexion sur les nouvelles formes de travail
-
Réflexion sur les nouvelles formes de travail
N’oublions pas que le modèle du salariat est relativement récent et ne couvre pas toutes les formes de travail. Sans parler du « travail invisible » selon la formule de Pierre-Yves Gomez1, il se développe […]
- Discours de Monseigneur Descubes : l’humanisation du travail est la clé essentielle de la question sociale.
-
Discours de Monseigneur Descubes : l’humanisation du travail est la clé essentielle de la question sociale.
Voici un discours de Monseigneur DESCUBES donné à l’occasion du colloque Vie de famille, vie de couple, vie professionnelle : comment ? organisé par le CLER Amour et famille et les EDC. Selon la Doctrine sociale de l’Eglise, l’humanisation du travail est la clé essentielle de la question sociale.
- Point de repères : Le sens du travail
-
Point de vue des entrepreneurs et dirigeants chrétiens sur le sens du travail
Le Pape François nous rappelle à nouveau la beauté du travail dans son Exhortation apostolique Amoris Laetitia sur l’amour dans la famille : « Que le travail soit une partie fondamentale de la vie humaine se déduit des premières pages de la Bible, lorsqu’il est déclaré que « l’homme a été établi dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15)…
Eclairages spirituels
- Eléments historiques, philosophiques et spirituels sur le principe de dignité
-
Elements historiques et philosophiques sur le principe de dignité
La dignité vécue souffre de tensions parfois douloureuses : entre impératif de rentabilité et respect des personnes, entre normes et visages, entre efficacité et fraternité bienveillante. Historique du concept de dignité.
- La nouveauté radicale de l'Evangile : l'exigence d'amour du prochain
-
La nouveauté radicale de l’Evangile : l’exigence d’amour du prochain
Dans les rapports humains, l’évangile va apporter une nouveauté radicale en poussant l’exigence d’amour du prochain. En effet, Jésus nous enseigne : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi…
Eclairages de dirigeants
Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler, à bien l’employer sans rien en perdre.
Lien entre dignité et bien commun
De la dignité, de l’unité et de l’égalité de toutes les personnes découle avant tout le principe du bien commun, auquel tout aspect de la vie sociale doit se référer pour trouver une plénitude de sens.
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise § 164
La personne ne peut pas trouver sa propre réalisation uniquement en elle-même, c’est-à-dire indépendamment de son être « avec » et « pour » les autres. Cette vérité lui impose non pas une simple vie en commun aux différents niveaux de la vie sociale et relationnelle, mais la recherche sans trêve du bien sous forme pratique et pas seulement idéale, c’est-à-dire du sens et de la vérité qui se trouvent dans les formes de vie sociale existantes.
Une vision purement historique et matérialiste finirait par transformer le bien commun en simple bien-être socio-économique, privé de toute finalisation transcendante, c’est-à-dire de sa raison d’être la plus profonde.
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise § 165 et 170
Lien entre dignité et participation
« La participation est l’engagement volontaire et généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. Ce devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine ».
Catéchisme de l’Eglise catholique n°1913
Lien entre dignité et destination universelle des biens
Ce principe se base sur le fait que « la première origine de tout bien est l’acte de Dieu lui-même qui a créé la terre et l’homme, et qui a donné la terre à l’homme pour qu’il la maîtrise par son travail et jouisse de ses fruits (cf. Gn 1, 28-29). Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne. C’est là l’origine de la destination universelle des biens de la terre. En raison de sa fécondité même et de ses possibilités de satisfaire les besoins de l’homme, la terre est le premier don de Dieu pour la subsistance humaine ».
Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise §171
Lien entre dignité et subsidiarité
« De même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber ».
Pie XI, Encycl. Quadragesimo anno
Lien entre dignité et solidarité
La solidarité confère un relief particulier à la socialité intrinsèque de la personne humaine, à l’égalité de tous en dignité et en droits, au cheminement commun des hommes et des peuples vers une unité toujours plus convaincue. Jamais autant qu’aujourd’hui il n’a existé une conscience aussi diffuse du lien d’interdépendance entre les hommes et les peuples, qui se manifeste à tous les niveaux.