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La subsidiarité, mode d'organisation fondé sur l'anthropologie chrétienne

06 avril 2017 Repères chrétiens
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Dieu à l’origine et premier protagoniste

L’homme créé à l’image de Dieu comme co-créateur…

Dieu crée et donne vie à des hommes. Il les crée à son image et à sa ressemblance et, à ce titre, l’homme foncièrement créatif prolonge l’œuvre de la création. Dieu laisse l’homme se battre pour la vie, malgré les causes de mort, et adapter la nature à ses besoins. Il reçoit un esprit rationnel qui le rend capable de penser le cosmos et d’innover en permanence1.

Le travail de l’homme est principalement effectué en subsidiarité par rapport à la création de Dieu et cela dès l’origine : Caïn et Abel ont chacun un métier, indépendamment de leur relation à Dieu, qui est inégale.

À l’image et à la ressemblance de son créateur, l’homme2 est librement orienté vers le service du bien et use de son intelligence pour agir et servir ses semblables. Par la production, l’exploitation et la sauvegarde des ressources, l’homme met en valeur la création qui lui est confiée et les talents qu’il a reçus. Il participe ainsi à la gloire de son Créateur. La grandeur de Dieu n’est pas diminuée, elle est au contraire soulignée par l’exercice de cette subsidiarité3.

… et invité à prendre des risques

L’histoire sainte est une histoire risquée. Certes Dieu a la capacité de rattraper les fautes de ses créatures et de faire jaillir un bien d’un mal. C’est l’heureuse faute d’Adam que l’on célèbre à Pâques. L’Évangile se fait l’écho de cette attitude risquée du père : aux vignerons homicides, il envoie son propre fils : « Ils respecteront mon fils. » La parabole des talents montre à quel point la frilosité est indigne du Royaume. Le talent est donné pour être risqué, pour être mis en jeu et produire des fruits. « Risquer, c’est vivre », affirme sans hésitation Don Pascal-André Dumont. Revenant à l’audace d’Abraham qui quitta son pays sans savoir où il allait, il ajoute : « Comme Abraham, nous avons besoin de répondre à l’appel de Dieu et de prendre des risques, de relever des défis, d’autant plus dans un monde qui se surprotège et se sur-assure. Paradoxalement, d’autres prennent des risques inconsidérés, notamment dans la finance. Ces deux attitudes – ne pas prendre de risque et prendre des risques inconsidérés – sont irresponsables. Prenons des risques bien discernés et assumons-les.4. »

La théologie de l’Alliance

Bien qu’ils en soulignent d’autres caractéristiques et qu’ils la lient à un contexte différent, les protestants considèrent que la subsidiarité a une « valeur évangélique ». Elle est un élément constitutif essentiel de leur fonctionnement d’Église selon le régime presbytérien synodal. Celui-ci fonctionne selon un processus de suppléance et de décision le plus collégial possible basé sur la conviction théologique du sacerdoce universel, de la solidarité et de l’alliance. Dieu en effet fit alliance avec des hommes et des femmes, et non des structures. Dans ce régime, tout pouvoir part de la base et c’est celle-ci qui délègue le pouvoir, prioritairement du bas vers le haut. L’autorité n’est pas centralisée autour d’un homme ou d’une structure, mais décentrée et orientée vers le Christ, seul chef de l’Église, « Chemin, Vérité et Vie ». Althusius définit la politique comme l’art de fonder et de maintenir la consociatio (communion) entre les membres de la Cité. De même que Dieu a fait alliance avec Israël sans absorber ni fusionner en aucune façon les différentes tribus qui gardaient chacune leur autonomie, ainsi les hommes sont-ils appelés à vivre en bonne entente, avec la nécessité d’un pacte global, mais sans toutefois dissoudre les liens locaux et les prérogatives des échelons inférieurs.

Dieu est subsidiaire à l’homme : mission des disciples dans l’Evangile (principe d’autonomie)

L’application du principe de subsidiarité consiste à reconnaître d’abord la dignité des personnes qui sont appelées à se comporter en « ministres de la providence divine », comme le rappelle le Catéchisme de l’Église catholique5.

Lors de la multiplication des pains, Jésus demande aux disciples de nourrir les foules. Simple délégation, pourrait-on penser. Mais ce serait aller un peu vite. Dans le Nouveau Testament, nous sommes dans le régime de la grâce et les disciples sont institués comme d’autres Christ. Regardons de près le récit de la multiplication des pains d’après l’évangile de Luc, qui paraît le plus détaillé (Lc 9, 10-17).

Jésus ne veut pas se substituer aux disciples pour résoudre lui-même le problème.

Remarquons d’abord que dans l’évangile de Luc, ce sont les disciples qui ont l’initiative. Ils identifient un problème d’intendance lié à la présence de la foule. Ils cherchent des solutions. Ce sont eux qui soulèvent le problème et cherchent à le résoudre. Certes, ils ont pour cela besoin du Maître. La première solution qu’ils envisagent consiste à demander à Jésus de renvoyer la foule. Mais Jésus ne veut pas se substituer aux disciples pour résoudre lui-même le problème : « Donnez-leur vous-même à manger ! » Les douze ont dû être stupéfaits d’une telle parole. L’incompréhension les rend muets d’étonnement. Ils ne parviennent qu’à confesser leur pauvreté en moyens matériels. La deuxième solution qu’ils envisagent alors consiste à aller acheter de la nourriture. Jésus invite alors les disciples à faire s’étendre les gens. Remarquons que Jésus n’est le sujet d’aucune action dans le récit, en dehors de la bénédiction et du rapport aux disciples. Il ne dit rien aux foules et ne commande rien, il n’apporte rien. Il ne fait aucun commentaire.

Il y a là une pédagogie de Jésus pour former ses disciples, pour en faire non des serviteurs mais des amis.

Ajoutons qu’il ne s’agit pas seulement d’un acte matériel mais d’une institution des disciples comme agents de la providence. Après le départ du Maître, ils continueront de nourrir les foules par la parole et la fraction du pain en rendant le Christ présent. Il y a là une pédagogie de Jésus pour former ses disciples, pour en faire non des serviteurs mais des amis. Il ne s’agit pas tant de délégation comme s’il se déchargeait sur les disciples d’une tâche fastidieuse, mais il les institue comme ses collaborateurs, et pourrait-on même dire, comme ses successeurs. Jésus institue ses disciples dans un rôle nouveau qui préfigure l’Église.

Jésus laisse les disciples se débrouiller pour résoudre le problème qu’ils ont eux-mêmes identifié.

La subsidiarité fait toujours grandir : elle est au service des personnes. Jésus laisse les disciples se débrouiller pour résoudre le problème qu’ils ont eux-mêmes identifié. Il intervient dans ce qu’ils sont incapables de faire, et c’est là qu’apparaît la dimension de « subside ». Mais ce sont les disciples qui donnent eux-mêmes à manger pour manifester quelque chose de leur rôle, ce rôle qu’ils commencent à découvrir, en tant que futures colonnes de l’Église. Tentés de trouver une solution certes raisonnable (renvoyer la foule), mais qui aurait eu l’inconvénient d’éparpiller les fidèles, Jésus les envoie au contraire vers eux, ce qui est conforme à leur mission. Il est vrai que c’est Jésus qui multiplie les pains et les poissons. Mais ce n’est pas le point final de la mission des disciples : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père. » (Jn 14, 12)

L’aide au travers du prochain

C’est parce que nous ne sommes ni auto-suffisants ni tout-puissants que le principe de subsidiarité a autant de pertinence. N’est-ce pas justement quelque chose qui appartient au plan de Dieu ? C’est en tous cas ce que suggère sainte Catherine de Sienne, cette femme particulièrement clairvoyante qui vécut au XIVe siècle : « Mes dons (dit Dieu) sont temporels ou spirituels. J’appelle temporelles toutes les choses nécessaires à la vie de l’homme, et ces choses je les dispense avec une grande inégalité. Je ne les donne pas toutes à un seul, afin que des besoins réciproques deviennent une occasion de vertu et un moyen d’exercer la charité. II m’était très facile de donner à chacun ce qui est utile à son corps et à son âme ; mais j’ai voulu que tous les hommes eussent besoin les uns des autres pour devenir ainsi les ministres et les dispensateurs des dons qu’ils ont reçus de moi.6. »

L’homme a besoin des autres, il est un être de relation : « Nul ne vit seul, nul ne pêche seul. Nul n’est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, dis, fais, réalise. Et vice versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. » (Benoît XVI, Spe Salvi, 48). Les hommes ont besoin les uns des autres…

Ce sont bel et bien nos relations avec les autres qui contribuent à nous constituer comme personne, sans oublier nos relations avec Dieu.

La suppléance

Nous savons bien que Dieu n’est pas le magicien qui va régler tous nos problèmes en un coup de baguette magique. Il attend de nous que nous trouvions les solutions et que nous mettions en œuvres nos capacités. La prière est justement le lieu qui, par analogie, exprime cette pratique de la subsidiarité. C’est ainsi que dans l’histoire d’Israël, les personnages bibliques se sont tournés vers le Seigneur pour demander son secours lorsqu’à vues humaines la situation semblait désespérée : pensons à la prière d’Abraham qui demande une descendance (Gn 15, 2). Le comportement du patriarche apparaît effectivement subsidiaire en ce sens qu’il demande un secours, un subside, en raison de son incapacité à obtenir par lui-même une descendance. L’histoire du salut montre combien Dieu intervient et se substitue lui-même à l’homme lorsque celui- ci se trouve incapable d’accéder lui-même au Royaume. Dieu a envoyé son Fils mort pour nos péchés. Dans la prière aussi, l’Esprit se substitue à notre faiblesse car « nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8, 26).

Le Seigneur semble préférer une certaine défaillance dans les résultats à une centralisation sur sa personne.

On pourrait se demander où conduit l’application du principe de subsidiarité dans l’Évangile. En effet, la mission des disciples, on le sait, n’est pas toujours couronnée de succès : il y a cette affaire du démon que les douze n’arrivent pas à expulser ; dépité, le père de l’épileptique dit à Jésus : « J’ai dit à tes disciples de l’expulser et ils n’en ont pas été capables. » (Mc 9, 18) Jésus proteste de cette incapacité et réalise lui-même l’exorcisme : « Engeance incrédule, leur répond-il, jusques à quand serai-je auprès de vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Apportez-le-moi ! » (Mc 9, 19) Y aurait-il ici un échec de la subsidiarité ? Le Seigneur semble préférer une certaine défaillance dans les résultats à une centralisation sur sa personne. Il intervient en dernier ressort pour souligner la puissance de la prière. « Quand il fut rentré à la maison, ses disciples lui demandaient dans le privé : pourquoi nous autres, n’avons-nous pu l’expulser ? Il leur dit : cette espèce-là ne peut sortir que par la prière. » (Mc 9, 28-29) On comprend, en rapprochant le verset 19 (engeance incrédule) et le verset 29 (la prière) que la foi est la clé du récit. La pratique de la subsidiarité et l’échec apparent ont permis de faire ressortir cette règle essentielle de telle sorte que la question du « pourquoi » vienne des disciples eux-mêmes, leur serve de leçon et les fasse grandir.

 
  1. Les aspects éthiques ne sont pas traités ici. Seul est abordé le rapport de l’homme à la matière par rapport à Dieu-Créateur. 
  2. Pour les anges, Dieu procède différemment : il délègue ses missions. Ceux-ci reçoivent des rôles spécifiques et sont rendus capables de les exécuter. La grandeur de Dieu est soulignée, mais pas au même titre que pour les hommes ; les anges reçoivent un rôle de médiation et accomplissent des missions déléguées, tandis que l’homme reçoit un mandat. 
  3.  Cf. Jean-Miguel Garrigues, Le monde invisible des anges et leur mission dans le plan de Dieu, éd. de l’Emmanuel 2004 
  4. Don Pascal André Dumont, propos recueillis par Jonas Arto, Dirigeants chrétiens n°71, mai-juin 2015, p.12-13 
  5. Cf. Catéchisme de l’Église catholique § 1884 : « Dieu n’a pas voulu retenir pour lui seul l’exercice de tous les pouvoirs. Il remet à chaque créature les fonctions qu’elle est capable d’exercer, selon les capacités de sa nature propre. Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie sociale. Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde, qui témoigne de si grands égards pour la liberté humaine, devrait inspirer la sagesse de ceux qui gouvernent les communautés humaines. Ils ont à se comporter en ministres de la providence divine. » 
  6. Catherine de Sienne, Dialogues, VI, 11 



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