Témoignage d'un membre des EDC

La force du pardon en entreprise : témoignage

Publié le 18/07/2018

« J’ai eu la chance de vivre, en tant que directeur d’une usine de confection de costumes-hommes de 450 personnes, une véritable dynamique d’équipe avec mon encadrement, qui s’est élargie, à la suite d’un évènement exceptionnel, à la quasi-totalité du personnel. Cet évènement s’est produit dans l’atelier « presses vapeur »…

Le chef d’atelier était « un jeune cadre dynamique », sortant d’une bonne école de confection et quelques 5 années d’expérience. Un jour il débarque très énervé dans mon bureau en demandant le renvoi immédiat d’un ouvrier polyvalent de presse, qui avait eu un geste violent sur lui à la suite de ses demandes réitérées d’améliorer la vitesse de son travail qui faisait « bouchon ». C’était un geste grave qui méritait en effet dans les conditions du règlement intérieur le licenciement immédiat.

Je convoque l’intéressé en présence de son chef pour l’écouter et lui signifier la sanction quasi automatique qu’il pressentait bien. Mais dans les courts échanges entendus mon esprit se met en alerte avec un signal que quelque chose « cloche ». Cet évènement s’étant produit en fin de matinée, un temps de pause permet de réunir mes deux cadres les plus proches pour leur exposer le cas et leur demander leur avis, hors la présence du chef d’atelier concerné. Je partage avec eux mon intuition. Les langues s’étant déliées, après quelques vérifications, l’histoire s’avère en effet toute autre, à la fois simple et complexe.

Une tension, voire une animosité régnaient entre les deux personnes…

En résumé, le chef d’atelier était aussi un « jeune coq » qui tournait autour de la femme de « l’agresseur », qui travaillait sur la chaîne de confection. Une sorte de rivalité professionnelle de compétence existait aussi. Une tension, voire une animosité régnaient entre les deux personnes, avec pour effet ce qui ce qui pouvait être considéré comme un harcèlement permanent du chef sur son subordonné, et des conséquences fortes sur l’ambiance de cet atelier. « L’agresseur » était connu comme « une bonne pâte » et comme le meilleur opérateur de l’atelier. De plus, il était notoirement en situation financière et sociale difficile avec de nombreux enfants et parents à charges.

Une situation d’injustice

Finalement nous arrivons à la conclusion qu’il y a une vérité de situation dans laquelle la justice ne se présente pas seulement comme on le pensait de prime abord et que la mesure normale, en conscience, serait une injustice. En fait, la pression exercée par le chef d’atelier qui a déclenché le geste inadmissible n’avait rien à voir avec le travail et la cadence de l’ouvrier. Tous trois partageons alors cette analyse et nous nous demandons comment résoudre ce dilemme.

Puis, et c’est une vraie « grâce », arrive l’inspiration de suggérer qu’il y aurait une solution humaine et exemplaire, si « spontanément » se produisaient un échange de pardon et une réconciliation, qui permettraient d’appliquer une sanction – nécessaire – moins définitive que le licenciement et de sauvegarder l’exemplarité et la discipline dans l’usine, mais aussi le principe de justice et de dignité de chacun. Mais si la solution théorique se voyait bien, son application paraissait utopique.

Une demande de pardon très émouvante

Alors, dans une sorte de dynamique spontanée de la foi chrétienne, nous recevons chacun des deux protagonistes séparément, longuement et plusieurs fois, et parvenons à ce que le chef d’atelier renonce à sa demande de licenciement. Nous lui demandons de l’annoncer lui-même à son collaborateur en notre présence et celle d’un membre du comité d’entreprise. Ce qui se fait, avec une demande de pardon première très émouvante au chef d’atelier, qui en retour, lui aussi, dit des mots de reconnaissance et de pardon, pour une quasi embrassade des deux avec pleurs… L’ouvrier « violent » a été alors mis à pied 1 semaine en tout et pour tout.

Tout le monde en est sorti grandi.

Cette histoire qui a été connue de toute l’usine a fortement contribué à un climat extraordinaire, que j’ai rarement retrouvé ailleurs par la suite. Visiblement tout le monde en est sorti grandi. Les marques de confiance et de solidarité sont devenues fréquentes et nombreuses dans les différentes relations de travail à tous les niveaux et entre ateliers. Un vrai sens du bien commun a été partagé, avec un esprit d’équipe étonnant. Enfin une sorte d’ambiance de joie collective se sentait, malgré les rigueurs de ce travail à la chaîne. Les problèmes de productivité persistaient, mais se réglaient rapidement et simplement. Ces conséquences ont été des découvertes, elles n’étaient pas le but.

La découverte de la force du pardon

Pour ma part j’étais heureux de ce saut de la foi partagée pas évidente a priori et de la découverte de la force du pardon. Un pardon plus qu’en paroles, en actes, grâce à une véritable réconciliation entre deux personnes. En « bon protestant » j’étais reconnaissant à Dieu et aux acteurs de cette histoire, et m’efforçais de ne pas m’enorgueillir de ce que je considérais à l’époque comme une « mission accomplie d’évangélisation en entreprise ». »

Témoignage de Gérard L.

Source : Cahier des EDC La dignité de l’homme au coeur de l’entreprise