Il n’est pas possible de traiter du principe de participation dans la Pensée Sociale Chrétienne sans aborder ses conséquences dans la vie politique. Le terme politique étant pris ici dans son sens premier d’organisation et d’exercice du pouvoir dans une société organisée.
En effet, la vie d’une entreprise ne peut être déconnectée de la vie de cité. Les entrepreneurs et dirigeants sont donc appelés à participer comme responsables de leurs entreprises à la vie politique de leur pays. Ils le sont également comme citoyen.
De plus, participer à la vie de l’entreprise n’est pas fondamentalement différent du fait de participer à la vie de la cité. L’implication dans l’une prépare et éclaire l’implication dans l’autre.
L’aspiration de chacun à pouvoir participer
Dans les sociétés démocratiques1, chaque citoyen est appelé à participer à la vie politique de son pays. Mais d’où vient cette aspiration ? Comment peut-elle être développée ? Jusqu’où peut-elle s’exercer réellement ?
Pouvoir donner son avis au même titre que les autres est le signe concret que l’on est une personne « à part entière ».
Par rapport à d’autres régimes plus autoritaires, la démocratie est une forme de gouvernement de la « cité des hommes » qui par principe permet à chacun d’exprimer ses souhaits. Cette volonté de faire participer chaque citoyen aux décisions qui le concernent est fondée sur la reconnaissance de la dignité et de la liberté de chaque personne2. Pouvoir donner son avis au même titre que les autres est le signe concret que l’on est une personne « à part entière ». C’est pour cela que les combats pour le droit de vote ont eu une telle importance3. Chaque personne étant un acteur de la vie civique et sociale contribuant, à sa place, à la vie collective.
Apprentissage de la participation dans la famille, à l’école et dans les associations.
Cette participation suppose un apprentissage qui commence dès le plus jeune âge dans la famille. Le rôle des parents est d’apprendre à leurs enfants à user judicieusement de leur liberté, en les protégeant des risques excessifs et en restant garants de leur bien-être et de leur intégrité. L’enfant en grandissant prend en charge des tâches de plus en plus complexes et apprend ainsi la vie commune. L’éducation en famille est aussi un apprentissage des prises de décisions. Dans une famille les volontés peuvent aller dans des directions opposées mais doivent converger pour le plus grand bien de tous : les enfants, selon leur âge et leur degré de maturité, participent aux décisions les concernant.4
Les « conseils de famille » illustrent très bien ce qu’est la participation à la vie familiale. En effet, un conseil de famille réunit l’ensemble des membres concernés pour que chacun puisse s’exprimer, écouter, argumenter et ainsi contribuer aux décisions. Que cela soit pour définir les modalités de la vie commune ou organiser un événement ou encore définir comment aider un membre plus fragile. Un bel apprentissage de la vie démocratique !
L’école complète cette éducation à la vie collective en favorisant la participation de chacun à la formation5 et à la vie collective. Elle peut aussi aller plus loin en proposant la mise en œuvre de démarches démocratiques et participatives, en classe et en groupes, et en fournissant une base d’information et de règles y conduisant.
La vie associative est un autre lieu d’apprentissage avec ses règles hiérarchiques, ses responsabilités partagées, ses objectifs d’intérêt collectif auxquels chacun doit adhérer et contribuer par sa conduite. Elle est aussi l’occasion de se confronter avec l’existence de « tire-au-flanc » et à la difficulté à mobiliser tout le monde. Le manque d’implication nuit à la qualité du groupe et demande de rappeler, parfois vigoureusement, la nécessité de la participation de tous.
L’importance des institutions.
La vie et la prospérité d’une communauté ne peut reposer sur la seule qualité de ses membres. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une entreprise connaît des tensions, un mauvais esprit, des conflits entre les services que cela signifie que les personnes qui la composent sont mauvaises. Si cela était le cas, il faudrait n’engager que des personnes irréprochables. Or l’expérience enseigne qu’il existe des entreprises qui permettent aux collaborateurs de se dépasser et d’autres au contraire où il faut être exceptionnel pour faire ce que l’on doit.
C’est là toute l’importance des institutions. Comme le disait Peter Drucker6« La raison d’être d’une organisation est de permette à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires »
De fait, dès qu’il y a des hommes qui vivent ensemble, se mettent en place des structures sociales et politiques qui lui assurent une certaine stabilité dans le temps. Ce sont des lois, des règles, des habitudes qui disent comment désigner l’autorité, attribuer les pouvoirs, prendre les décisions.
Les institutions fixent le cadre dans lequel les personnes agissent
Parce qu’elles fixent le cadre dans lequel les personnes agissent les institutions ont une valeur propre. En effet, une fois en place, elles agissent sur les personnes et sur leur comportement. Certaines « diminuent l’homme » parce qu’elles l’incitent à ne pas prendre de risque, à dissimuler ce qu’il sait, à ne pas travailler en équipe. D’autres « augmentent » l’homme parce qu’au contraire, elle l’encourage à prendre des risques, à travailler avec d’autres, à dire ce qui est important pour lui.
Parce qu’elles ont un impact fort7 et qu’elles peuvent corrompre les hommes comme leur permettre de grandir chaque responsable politique, chaque dirigeant doit prendre soin d’elle. C’est en ce sens que l’on a pu écrire que la question morale (Rapport au bien) est d’abord une question politique (Rapport des personnes entre elles).
Le soin à apporter aux institutions
L’organisation des pouvoirs est donc un élément essentiel pour favoriser ou handicaper la capacité de chacun à prendre part activement à la vie de la cité. Sur ce point les institutions des pays sont loin d’être équivalentes.
C’est pourquoi Benoît XVI insistait dans Caritas In Veritate sur ce point : « Œuvrer en vue du bien commun signifie d’une part, prendre soin, et d’autre part, se servir de l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement, civilement et culturellement la vie sociale qui prend ainsi la forme de la « polis », de la cité ».
Chacun est invité à se préoccuper de la santé des institutions politiques8 qui structurent la vie de la cité, en participant autant que possible et de façon constructive à leurs travaux. Cela signifie voter lors des échéances électorales mais aussi être présents dans le débat public et manifester clairement son attachement et au respect des institutions dont nous avons la chance de bénéficier.
Cette préoccupation qui doit être la nôtre s’étend au-delà des frontières de notre pays, en direction des pays – nombreux – avec lesquels nous pouvons être en relation d’échanges culturels, économiques, sociaux, voire politiques. Elle va même jusqu’à contribuer à édifier une communauté internationale solidaire.9
Les corps intermédiaires font partie de ces institutions à préserver et développer.
Les corps intermédiaires font partie de ces institutions à préserver et développer. En effet, en s’impliquant au sein d’une commune, d’un département, d’un syndicat professionnel ou d’une association chacun peut selon ses compétences, son temps et ses affinités s’impliquer et agir au service du bien commun. La contribution des corps intermédiaire est également importante pour structurer la voix des citoyens de façon ordonnée. Les syndicats sur le plan des relations sociales, les partis sur le plan politique, les associations sur tout sujet d’intérêt collectif sont des instances où se définissent, en principe démocratiquement, se mûrissent et s’expriment les points de vue représentatifs de ceux des populations qu’ils regroupent.
La doctrine sociale de l’Église est née alors que ce besoin de parole et de représentation communes n’était pas du tout pris en compte. La Révolution française avec la loi le Chapelier et les décrets d’Allarde avait aboli les corporations et rendu les ouvriers de la révolution industrielle incapables de s’organiser d’agir et de se défendre collectivement. Le rôle des corps intermédiaires n’est donc plus à démontrer dans la Pensée sociale chrétienne.
Source : Cahier des EDC Le principe de participation
- Saint Jean-Paul II dans Evangelium Vitae nous rappelle que la démocratie n’est pas une fin en elle-même : « la démocratie ne peut être élevée au rang d’un mythe, au point de devenir un substitut de la moralité ou d’être la panacée de l’immoralité. Fondamentalement, elle un système et, comme tel, un instrument et non une fin. Son caractère moral n’est pas automatique, mais dépend de la conformité à la loi morale, à laquelle la démocratie doit être soumise comme tout comportement humain ; il dépend donc de la moralité des fins poursuivies et des moyens utilisés » (Evangelium vitae §70). ↵
- Cf. la déclaration des droits de l’homme de 1789, document fondamental de la constitution française qui rappelle « Les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ». Elle déclare dans son article 1° que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » ↵
- Néanmoins nous pouvons nous interroger sur la valeur du vote aujourd’hui : vote blanc non pris en compte, abstention, défiance… sans doute parce que les conditions de mise en œuvre du suffrage et les conditions d’exercice de la démocratie sont insuffisamment reconnues, valorisées et protégées. ↵
- Le code civil prévoit dans son article 371-1 la participation des enfants aux décisions le concernant : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. » ↵
- Le sujet de la participation aux cours est au cœur de tous les débats pédagogiques. Ceux-ci sont vifs et passionnés. Ils opposent ou cherchent à rendre convergents transmission, responsabilisation, participation… Certaines méthodes comme celle créé par Maria Montessori responsabilisent l’enfant dans ses apprentissages. D’autres, comme les pédagogies du projet, favorisent une construction collective du savoir. Dans le fond chaque pédagogie porte en elle une vision de l’homme et de la société. C’est pour cela qu’elles ne sont pas neutres et que le choix de telle ou telle méthode à une très grande importance. Ce qui est vrai à l’école ou à l’université l’est aussi dans l’entreprise. ↵
- Peter Drucker (1909 – 2005) Consultant américain et célèbre pour ces conseils en management. Auteur de nombreux concepts comme l’esprit d’entreprise et l’innovation systématique. ↵
- Cf. Le discours de Pie XII à l’occasion du 50° anniversaire de Rerum Novarum « De la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend et s’infiltre le bien ou le mal des âmes ». ↵
- Le pape François parlera d’écologie sociale. « L’écologie sociale est nécessairement institutionnelle et atteint progressivement les différentes dimensions qui vont du groupe social primaire, la famille, en passant par la communauté locale et la Nation, jusqu’à la vie internationale. À l’intérieur de chacun des niveaux sociaux et entre eux, se développent les institutions qui régulent les relations humaines. Tout ce qui leur porte préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la liberté, l’injustice et la violence. » (Laudato Si’, § 139) ↵
- Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, §189 : la participation « ne peut pas être délimitée ou restreinte à quelques contenus particuliers de la vie sociale, étant donné son importance pour la croissance, humaine avant tout, dans des domaines tels que le monde du travail et les activités économiques dans leurs dynamiques internes, l’information et la culture et, à un degré maximum, la vie sociale et politique jusqu’aux plus hauts niveaux comme ceux dont dépend la collaboration de tous les peuples pour une communauté internationale solidaire ». ↵