A l’intérieur de la Destination universelle des biens, la Pensée sociale chrétienne développe le thème de l’Option préférentielle pour les pauvres 1 comme une application particulière de ce principe. Il ne s’agit en rien d’une « option » de nature facultative, mais bien d’une préférence à exercer partout et en tout.
Il nous faut donc d’abord nous interroger sur les raisons de cette préférence et, ensuite, sur la manière de la mettre en œuvre. Comme entrepreneurs et dirigeants chrétiens, demandons-nous ce que cette option nous indique de particulier pour l’exercice de nos responsabilités et la vie de nos entreprises.
Le privilège des pauvres est conféré par Dieu.
« Le privilège des pauvres et des malheureux trouve son vrai fondement non pas en eux, dans les dispositions spirituelles qu’on leur prête, mais dans la nature du Royaume qui vient, dans les dispositions de Dieu, qui entend exercer sa royauté en faveur des plus déshérités »2.
Ce privilège est une « privata lex » ou « loi privée » de Dieu lui-même qui voit aussi bien le petit que le grand. Parce qu’il est le plus grand, Dieu est en même temps le plus proche des tout-petits. C’est ce paradoxe que Christian Bobin exprimait par l’expression « le Très-Bas ». La grandeur de Dieu pour les chrétiens s’exprime particulièrement dans l’abaissement du fils de Dieu. Jésus est né à Bethléem dans la pauvreté d’une étable et il est mort sur la Croix comme un vulgaire malfaiteur. « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. »3
Le plus petit est appelé à être le plus grand !
C’est parce que le plus petit est appelé à être le plus grand que Dieu veille avec attention sur les malheureux, les pauvres, les malades, les estropiés, les enfants, les femmes stériles. Il les relève et les fait s’asseoir sur un trône à côté de Lui. De nombreux Psaumes chantent cette prédilection. « je suis avec lui dans son épreuve. « Je veux le libérer, le glorifier ; de longs jours, je veux le rassasier, et je ferai qu’il voie mon salut. »4
Dieu regarde, considère et aime ceux qui n’ont rien, les tout petits, pour eux-mêmes et non pour de quelconques mérites. Ce regard de Dieu sur les pauvres est pour chacun de nous une leçon sur la façon dont Dieu aime. Il nous indique comment à notre tour nous devons aimer.
Par ce mouvement de Dieu vers les hommes, les pauvres qui n’ont rien ont accès au plus grand des trésors, Dieu lui-même, leur seigneur créateur et sauveur. Comme Job au milieu de ses difficultés5, ils sont invités à le louer, à exprimer leur confiance en lui et grâce à son amour garder l’espérance à la suite du Psaume : « Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. »6.
C’est aussi pour chacun de nous une indication sur la façon dont nous entrons en relation avec Dieu. En effet, nous sommes tous appelés à nous dépouiller pour rencontrer le seigneur. Sainte Thérèse écrivait « L’héritage que nous recevons, et qui nous rend riches, c’est de savoir qu’il faut passer par le rien pour recevoir le tout de Dieu » .7
Porter ce regard sur les autres à la suite de Dieu est difficile.
L’évangile du riche et de Lazare 8 peut nous inspirer. Le texte montre bien la primauté de l’attention de Dieu. Seul le pauvre Lazare porte un nom, qui le rend unique aux yeux de Dieu… et du monde. Au « séjour des morts », le riche voit enfin Lazare de loin, alors que sur terre, il ne portait jamais son regard sur lui.
Ce regard sur les pauvres est primordial : « Quand le pauvre est découvert il est toujours refusé, car il remet en question le droit d’exister à soi-même. La première réaction est de se défendre ? Devant le pauvre on détourne la face. (…) Mais Dieu nous attend exactement là. Il m’attend là où est celui qui met en cause mon droit d’exister et que je ressens comme tel. Si on sait choisir celui-là comme prochain, alors Dieu est accueilli ».9
L’attention de Dieu est attachée aux pauvres. Il les distingue et veut les prendre auprès de Lui. D’une certaine façon, ils sont la famille ou la maisonnée de Dieu, ses enfants, ses « clients » au sens romain du terme, dont Dieu serait le « patron ». Qui respecte Dieu doit donc respecter de la même manière ses proches, « ces plus petits qui sont les miens ».10
Dans son évangile, Matthieu va plus loin en déclarant « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »11 ! Par cette parole, Jésus, Fils de Dieu, nous invite à le voir dans chaque pauvre. Préférer les pauvres, c’est donc choisir Dieu. Ainsi que l’exprime le proverbe « Il honore son Créateur, celui qui a pitié du pauvre »12.
Mais les riches ne sont pas pour autant exclus pour Dieu.
Certes, la richesse peut devenir un empêchement à entrer dans le Royaume de Dieu. Aussi la Bible regorge-t-elle de mises en garde et de conseils pour les riches pour leur permettre d’agir « malgré » leur richesse. Le riche est bien sûr invité à ne jamais causer de tort mais cela ne suffit pas, il doit aussi développer une vraie humilité ouverte aux plus démunis et aux plus fragiles. Mais il doit surtout le protéger, le secourir et vivre avec lui comme le fait Dieu. Ainsi tout homme peut exercer cette option préférentielle pour les pauvres.
Cet article est extrait du Cahier des EDC La destination universelle des biens
- Qui sont les pauvres ? Quand le pape nous demande d’aller aux périphéries il nous demande de répondre personnellement à cette question. Il ne s’agit pas de choisir « nos » pauvres mais de nous ouvrir pour reconnaitre et rencontrer ceux qu’ils nous envoie. La pauvreté est souvent économique mais ne peut se réduire à cette dimension. Elle est aussi dans l’éducation, la culture, les relations avec les autres. La perte des biens relationnels est sans doute la cause des plus grandes pauvretés. Celui qui n’a plus de relation est « invisible » aux autres. C’est la grande souffrance des personnes de la rue. Ne plus être vus par ceux qui passent devant eux. ↵
- Jacques Dupont, bénédictin cité dans « L’option préférentielle pour les pauvres », p.34,. ↵
- 2Co 8,9 ↵
- Ps 90, 15-16 et aussi « Tous ces êtres, c’est ma main qui les a faits et ils sont à moi tous ces êtres, oracle du seigneur. C’est vers celui-ci que je regarde : le pauvre, l’humilié, celui qui tremble à ma parole » Is 66,2, « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, » Is 61,1 ↵
- Le livre de Job témoigne de cette fidélité. Malgré ses déboires – Job ne perd pas confiance dans le Seigneur et continue à Le louer sans cesse. « Le Puissant sera ton or et, pour toi, des monceaux d’argent. Ainsi, tu trouveras tes délices dans le Puissant, et vers Dieu tu élèveras ta face. » Jb 22, 25-26 ↵
- Ps 129, 6 ↵
- Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ↵
- Lc 16, 19-31. ↵
- Le pauvre choisi comme Seigneur, Dominique Barthélémy, Cerf, 2009, p. 152, cité par P. Coulange. ↵
- Mt 35, 31-44. ↵
- Mt 25,40 ↵
- Pr 14, 31. ↵