Bible : La participation comme responsabilité partagée dans le Livre des Nombres

La participation comme responsabilité partagée : la charge de Moïse et des Anciens (Nombres 11,4-34) ; la charge des 72 disciples (Luc 10,1-20)

Nb 11,4-34 : la nécessité pour Moïse de partager sa « charge »

Le récit de Nb 11,4-34 est surprenant. On y découvre le personnage de Moïse épuisé, déprimé par sa charge, au point de souhaiter la mort, et de mettre Dieu en accusation ! :

Nb 11,11 « Moïse dit à Yahvé : pourquoi fais-tu du mal à ton serviteur ? Et pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux au point que tu me confères la charge de tout ce peuple ?

Nb 11,15 : « Si c’est ainsi que tu agis à mon égard, tue-moi donc, si du moins j’ai trouvé grâce à tes yeux. Et que je ne voie plus ma triste condition ! »

Moïse est accablé par la révolte du peuple qui, refusant de poursuivre sa marche au désert vers le pays promis, se met à regretter les délices de l’Égypte : poissons, concombres, pastèques, poireaux, oignons et ail ! (Nb 11,5). Tout se passe comme si le lien était cassé entre celui à qui Yahvé a confié la charge du peuple, et le groupe qu’il doit conduire jusque dans le pays promis, en Canaan. Même s’il serait tentant de projeter sur Moïse la figure du dirigeant épuisé par sa tâche, et qui peine à entraîner les membres de son entreprise dans le projet qu’ils poursuivent ensemble, tenons-nous en au récit du livre des Nombres.

Yahvé entend la plainte de Moïse et s’y rend attentif. La solution qu’il propose est de faire bénéficier 70 anciens d’Israël de l’esprit prophétique qui repose sur Moïse :

Nb 11,25 : « Yahvé descendit dans la nuée et lui parla. Il préleva de l’esprit qui était sur Moïse et le donna aux 70 anciens. Alors, comme l’esprit reposait sur eux, ils se mirent à prophétiser ».

Ainsi, la réponse de Yahvé à la plainte de Moïse consiste, comme dans le récit parallèle d’Ex 18,13-27, à instituer des collaborateurs qui puissent participer à sa charge prophétique. Ils reçoivent le même esprit que lui, et sont investis du même don de prophétie.

Plus étonnante, la suite du récit, en Nb 11,26, décrit l’irruption de l’esprit sur deux personnages qui n’étaient pas « prévus » dans le projet initial — ils n’appartiennent pas au groupe des « anciens » — et qui, eux aussi, se mettent à prophétiser — Eldad et Medad :

Nb 11,26 : Deux hommes étaient restés dans le camp, le nom du premier était Eldad, et le nom du second Medad ; l’esprit se posa sur eux (…) et ils se mirent à prophétiser dans le camp.

Ce récit du livre des Nombres met ainsi en valeur deux affirmations principales et complémentaires :

• Le gouvernement du peuple d’Israël est une charge trop lourde pour une gouvernance solitaire. Dieu fait preuve de sollicitude envers Moïse en l’aidant à exercer sa responsabilité : tout en distinguant soigneusement la charge de Moïse de celle des anciens qui l’accompagnent et participent à sa mission, le récit fait l’éloge de la collégialité, et manifeste ainsi que les dons de Dieu sont largement répartis : Dieu donne aux 70 anciens la capacité de participer à la charge de gouvernement du peuple.
• Au-delà de l’institution des anciens, Dieu crée du neuf. L’activité prophétique d’Eldad et de Medad ne s’exerce pas dans le cadre institutionnel initialement prévu. Et pourtant, Moïse s’en félicite : « Si seulement tout le peuple de Yahvé était établi comme peuple de prophètes, sur lesquels Yahvé aurait établi son esprit ! » (Nb 11,29).

Le récit élargit ainsi le cadre institutionnel initialement donné au processus de diffusion de l’esprit prophétique. Les collaborateurs potentiels de Moïse ne font partie d’un cercle fermé. La dispensation des dons de Dieu dépasse les frontières que l’esprit humain trace parfois. Il faut à la fois de l’audace et de l’attention pour repérer les charismes là où il se trouvent !

Source : Cahier des EDC Le principe de participation