Eclairage de fond

Proposition d’une réponse chrétienne aux promesses du transhumanisme

Publié le 10/06/2017

A l’issue de plusieurs années de recherche sur « Humanisme, Transhumanisme, Posthumanisme », ce colloque conclusif du Séminaire du Collège des Bernardins des 19-20 mai 2017 présentait ses principales réflexions et interrogeait de façon plus détaillée les bases du Transhumanisme-Posthumanisme, ses promesses et ses utopies, l’« humanisme » qu’il prétend être, et proposait une réponse possible par l’Incarnation, au sens chrétien mais aussi humain de ce terme.

Dans son introduction générale, résumée ici[1], le Pr Jacques TESTARD distingue les étapes de l’évolution constatée de la nature, de l’homme et de la société :

l’évolution naturelle est lente, assortie de tests sur un seul représentant d’une mutation avant toute généralisation et voulue pour le plus grand nombre en cas de succès (meilleure adaptation au changement des milieux, par exemple) ;

les évolutions artificielles ne datent pas d’hier, elles commencent dès début de l’exploitation de la nature par l’homme, par la sélection de la nourriture conduisant à l’agriculture, etc…

les évolutions s’accélèrent du fait de la puissance des outils apportés par les technologies NBIC et certaines sont reconnues comme pouvant être mortifères (nucléaire, pollution, climat…).

Le Transhumanisme s’appuie sur la convergence des technologies NBIC et semble oublier totalement le principe de responsabilité prôné par Hans JONAS. Celui-ci est balayé par le principe d’innovation, où toute nouveauté est bonne en soi et qui veut remplacer le principe de précaution.

Transhumanisme ou la préférence des machines à l’homme.

Il s’agit d’une dévotion à la technologie, appuyée par des moyens énormes grâce au capitalisme, qui fonde une véritable « idéologie ». Les machines sont préférées à l’homme : pour l’augmenter, après l’avoir réparé, pour s’y substituer (robots), voire le remplacer totalement dans le Posthumanisme.

Mais le nouvel homme Posthumain aura-t-il encore une dignité et une liberté ? Sera-t-il capable d’aimer ? Sera-t-il ému ou angoissé, comme nous le sommes devant la mort ? On peut en douter…

Transhumanisme et nouvelles techniques de fécondation

Aujourd’hui déjà, on développe des utérus artificiels plutôt que de privilégier des greffes d’utérus, les techniques de fécondation in vitro permettent toutes les manipulations et les tris possibles, sans que l’on réagisse le plus souvent. On est emporté « mécaniquement » dans un consumérisme, qui empêche de réfléchir et nous rend tous interchangeables, et non plus uniques… L’intelligence se dissout dans un retour à l’instinct primitif seul : l’objectif est affiché « En finir avec la conscience » !

Transhumanisme-Posthumanisme : Pourquoi et comment résister ?

Parce que l’humanité et la planète sont uniques, nous n’en avons pas de rechange pour tous. Dans le Transhumanisme, on ne parle que de quelques-uns qui seraient capables de se rendre immortels ou de se sauver sur une autre planète (d’où la conquête de Mars qui en fait partie). Et les ressources consommées pour ces programmes sont considérables et accentuent les déséquilibres actuels.

Dénoncer les mirages des promesses du transhumanisme

Il faut donc dénoncer les mirages de ces promesses, relever les abus de langage :

– l’immortalité ne sera que celle de cyborgs et pas des hommes, si tant est qu’elle aboutisse (les « progrès » ne sont pas si considérables qu’on le prétend, il faudrait encore des décennies…) ;

– la vie artificielle d’un nouvel homme Posthumain, entièrement créé de main d’homme ne sera pas « humaine », en tant qu’elle serait déterminée par un but défini, et non indéterminée comme l’est la vie humaine, ou alors le fruit du hasard (et peut-on s’en remettre au hasard pour cela ?) ;

– l’allongement de la durée de la vie ne retire rien à la nécessité de penser notre rapport à la vie et à la mort, qui restera donc présente ;

– la vie des machines sans émotions n’est pas une vie qui mérite d’être vécue, sans douleur, mais aussi sans plaisir ;

– les robots pourraient imposer une nouvelle morale, non humaine (quel sens cela aurait-il sans conscience et donc sans liberté ?) ;

– l’intelligence artificielle est-elle une intelligence, dans la mesure où elle est une puissance de calcul, mais cela ne fait pas toute l’intelligence…

Face au transhumanisme : réorienter les activités vers le bien commun de tous

En réponse, nous devons développer un « récit alternatif » où l’homme dit ce qu’il veut faire concrètement, moralement, pour résoudre les problèmes actuels ; réorienter les activités vers le Bien commun de tous (et pas d’un petit nombre d’élus) ; rappeler les scientifiques à la responsabilité, qu’ils ne peuvent ignorer indéfiniment ; appeler au respect de points fondamentaux de l’homme, respect de l’Autre, du corps, de la pensée, de la conscience, de ses limites

Dans les choix à débattre publiquement, trois exigences peuvent être posées à l’innovation :

– que le choix soit démocratique ;

– que la vitesse de dissémination soit encadrée ;

– que les effets négatifs soient contrôlés et maîtrisés.

Pour Jacques TESTARD, si l’on s’appuie sur l’empathie, qui est le propre de l’homme (pour un non-croyant), et l’intelligence collective, on peut offrir une alternative solidaire crédible face à la séduction du Posthumanisme qui se fonde sur la compétition exacerbée et l’individualisme actuel.

Commentaire d’Anne Duthilleul, membre EDC et présidente de la Commission Repères

En commentaire, mettre ces réflexions en parallèle avec Laudato Si’ fait apparaître une convergence de vue avec le pape François sur l’accélération du paradigme technocratique, qui présente des dangers s’il n’est pas accompagné d’une réflexion suffisante sur ses finalités et sur ses impacts négatifs sur la nature, l’homme et la société. Au minimum, la vitesse doit en être contrôlée, sans aller jusqu’à préconiser la décroissance, comme le fait Jacques Testard.

Transhumanisme et développement des inégalités entre les hommes

Sur le fond, en outre, le Transhumanisme induirait d’une nouvelle étape dans le développement des inégalités entre les hommes, avec la création d’une catégorie de sous-hommes non « Posthumains », qui n’irait pas dans le sens d’une plus grande communion. Enfin, l’oubli complet de toute relation d’amour envers l’autre (bonté, empathie ou altruisme), pourtant indispensable à l’homme, résulte d’une erreur fondamentale sur sa nature…

Nous devons donc, en tant que chrétiens, nous garder de montrer trop de complaisance à l’égard d’une telle idéologie et, en tant qu’entrepreneurs, éviter de la renforcer par des moyens économiques, si nous voulons être cohérents avec notre vision de l’homme.

[1] Un résumé des autres interventions sera établi ultérieurement. Un compte-rendu sera disponible également sur le site du Collège des Bernardins, dans les documents de Recherche sur le sujet.