Dirigeant chrétiens n°89 – L’entreprise, une communauté solidaire ?
Publié le 24/05/2018
L’entreprise, une communauté solidaire?
Dans une société mondialisée où règne parfois un individualisme forcené, la soif de solidarité est immense. Mais l’interdépendance entre les hommes n’est-elle pas dans le projet même de Dieu ? Car la dignité humaine en effet ne pourra « être protégée et favorisée que sous une forme communautaire, par l’humanité tout entière » (Doctrine sociale de l’Église, 145).
Les entrepreneurs et dirigeants qui témoignent dans ce numéro montrent comment ils s’efforcent de faire de leur entreprise une communauté solidaire au service du bien commun. Ils nous montrent aussi que faire grandir la solidarité est une chance pour l’entreprise.
Entretien croisé
Un chemin qui ouvre à la transcendance
Olivier Boidin (directeur commercial de Cedarnet, président du conseil de surveillance de Sens (business angel qui investit dans des ESS au Bénin et en France) et membre de l’équipe EDC Chantilly) et Vincent Lenhardt (coach de dirigeants, président de Transformance Pro, fondateur de la formation de coachs Coach and Team, et senior advisor auprès du cabinet Bain & Company) évoquent l’exigence d’une solidarité féconde au sein de l’entreprise. Au-delà d’un principe social, qui se traduit dans l’organisation de la société, et d’une vertu morale, que chacun peut pratiquer envers les autres, la solidarité est l’expression d’une volonté de travailler pour un bien commun collectif.
Témoignage
Guillaume Leenhardt, dirigeant de À vos côtés, entreprise d’aide à domicile, et membre de l’équipe EDC Montpellier Saint-Roch.
Après des études dans les marchés financiers, j’ai vite réalisé que je ne pourrais jamais travailler dans une entreprise dont l’objet social n’aurait pas un minimum de sens. C’est comme ça que, en 2006, je me suis lancé et que j’ai créé À vos côtés, pour venir en aide aux personnes âgées et handicapées.
Je n’avais pas mesuré que la solidarité, je la vivrais bien plus avec les salariés qu’avec les clients ! La majorité d’entre eux font face à des problèmes d’argent, de logement, de famille qui prennent bien souvent le dessus sur leur vie professionnelle. La difficulté consiste à trouver en permanence le bon équilibre entre leurs besoins et ceux des clients. Cela passe par une attention particulière aux situations de fragilité rencontrées (mères isolées, femmes victimes de violences conjugales, etc.) et par un accompagnement personnalisé, grâce à l’assistante sociale que nous avons embauchée pour les aider à trouver des solutions. De ce point de vue, le fait de pouvoir partager mon quotidien aux EDC est une chance pour rompre la solitude de chef d’entreprise. (A.W.)
Relecture théologique
Le vrai amour : être solidaire de l’autre
Quand on m’a sollicité pour la relecture théologique de ce numéro, j’ai répondu que la solidarité, je la vivais surtout à l’envers. Tout en étant accompagnateur spirituel d’une équipe EDC à La Plaine-Saint-Denis, je suis prêtre depuis vingt ans en Seine-Saint-Denis, douze ans à Aubervilliers et huit à Saint-Denis. Ici, nous restons étonnés et curieux de voir des gens parler de la solidarité sans être jamais venus nous voir, mais simplement nous rendre visite.
Vertu, principe, projet commun, beaucoup de mots émouvants ont été exprimés dans ce dossier sans aller au fond de ce que Jésus nous demande. Alors, j’ajouterai un mot inattendu : « inculturation ». C’est dans le sens du mot empathie, déjà prononcé. Le mystère de l’Incarnation peut se dire plus simplement : Dieu s’est mis dans notre peau. Et c’est le vrai amour : s’inquiéter de l’autre, se mettre dans sa peau, vivre avec lui ses joies et ses souffrances, désirer que tout aille bien pour lui et donner de sa vie pour ça.
Venir sur le terrain de l’autre
Dans l’entretien croisé de ce dossier, Vincent Lenhardt dit bien : « Créer les conditions permettant aux personnes de se développer réellement. » J’ajouterais, non seulement dans telle entreprise, mais partout dans le monde pour toute personne. C’est pourquoi je parle d’« inculturation » : chercher à comprendre l’autre, son histoire, ses conditions de vie, sa manière de réagir à ce qui lui arrive, même sa religion, sa piété, sa façon de prier ou de ne pas prier. Pour cela, un seul moyen : s’approcher, venir sur le terrain de l’autre, s’asseoir par terre à ses cotés, partager sa vie. Olivier Boidin touche le problème en disant : « La source de la solidarité, c’est l’hospitalité. » Mais, il faut la vivre dans l’autre sens : non pas inviter le pauvre chez le riche, mais que le riche se fasse inviter par le pauvre qui ne demande que ça, qui vit l’hospitalité au quotidien, car dans un logement de pauvre, il y a toujours une personne qui squatte le soir sur un matelas.
Faire corps
La solidarité c’est aussi « colmater les brèches » qui nous séparent. Monseigneur Claverie, qui va être béatifié, parlerait de « se mettre dans les fractures de l’humanité ». C’est ce que fait Jésus sur la croix, il met sa chair dans nos divisions pour refaire notre communion. Il vient « faire corps » avec les uns et corps avec les autres pour nous remettre en un seul corps. Bravo à la citation de 1 Cor 12 (voir p. 27). Et Vincent Lenhardt pose la vraie question : « Suis-je en train de contribuer à la construction du Corps mystique », c’est-à-dire du Corps du Christ, dont je suis un membre et tout homme dans le monde un autre membre. Suis-je solidaire de cet autre membre comme ma main est solidaire de mon œil, au point que je mette tout en œuvre pour sauver ma main ou pour sauver mon œil ? Et l’« inculturation », c’est chercher à comprendre complètement le souci de ma main ou mon problème de vision, à comprendre vraiment l’autre. Ce dossier évoque le Congo ou le Soudan (voir p. 17). Seuls celles et ceux qui y ont été et y ont séjourné, qui s’y sont « inculturés », comprennent pourquoi les jeunes ont envie de traverser la méditerranée.
Jean-Marc Danty-Lafrance, prêtre référent de la paroisse Sainte-Geneviève-de-le-Plaine et conseiller spirituel EDC équipe La Plaine-Saint-Denis