Chronique RCF : réaction à la publication du Guide du fait religieux en entreprise
Publié le 10/11/2016Texte de la Chronique RCF de Sophie Soury du 17 novembre 2016
Myriam El Khomri, ministre du Travail, a présenté lundi 7 novembre, le Guide du fait religieux dans l’entreprise privée pour rappeler à tous (employés et employeurs) les règles fixées par le droit. Pour ce faire, le document expose 39 cas pratiques. En vérité, ce guide existe déjà, il a été élaboré en 2013 par l’Observatoire de la laïcité et se trouve sans difficulté sur le site du Premier Ministre.
Rappelons le contexte. Contrairement aux services publics, les entreprises privées ne sont pas tenues à l’obligation de laïcité et de neutralité, la seule limite à la liberté religieuse de leurs employés étant le « trouble objectif » au bon fonctionnement de l’entreprise.
Donc en matière de fait religieux, le droit s’impose comme dans tout autre cas. Ce guide se contente donc d’énoncer des principes de base, comme l’interdiction de demander sa religion à un candidat ou de la mentionner dans une offre d’emploi, de désobéir à sa supérieure parce qu’elle est une femme, de faire du prosélytisme en entreprise.
Fait religieux en entreprise : « Un employeur peut-il « interdire » à son salarié de « faire le jeûne du ramadan » ? »
Parmi les exemples, un cas m’interpelle : à la question « Un employeur peut-il « interdire » à son salarié de « faire le jeûne du ramadan » ? », la réponse est « « Non », mais il doit le « retirer de son poste de travail » s’il n’est pas en capacité de travailler « dans les conditions de sécurité requise ». L’employeur peut aussi « procéder à un changement d’affectation » ou « aménager les horaires de travail ». En dernier recours, « si aucun aménagement ne peut être mis en place » et « si l’impossibilité d’exécuter le travail désorganise l’entreprise, le licenciement peut être envisagé » ». Je suis vraiment épatée par la formule utilisée : « si l’impossibilité d’exécuter le travail désorganise l’entreprise »… Je ne connais pas d’entreprises qui se satisfont de l’arrêt de travail d’un salarié et qui n’en subissent pas de conséquences.
Fait religieux en entreprise : constat de sa progression
Concrètement, si en 2015 50 % des salariés constataient une progression du fait religieux dans leur entreprise, ils sont 65 % à dresser ce même constat cette année. En 2014, ils étaient 44 %. Parmi ces personnes sondées, six sur dix se sont dites opposées à une loi sur la religion au travail. « Certains cas, minoritaires, sont conflictuels », « concentrés dans certaines entreprises et zones géographiques ». Ces cas représenteraient, selon l’étude, 9 % de tous les faits religieux observés en 2016. Ce sont trois points de plus qu’en 2015. Aujourd’hui, la loi travail prévoit que le règlement intérieur des entreprises puisse « contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés » sous certaines conditions. Pourtant, 65 % des personnes interrogées y sont opposées. L’étude estime qu’elles « ne souhaitent pas que l’entreprise impose à ses salariés la neutralité religieuse notamment par l’intermédiaire d’un règlement intérieur ».
En conclusion je dirais que les troubles liés au port de signes religieux visibles sont certainement pénalisants pour l’entreprise lorsque les clients sont choqués. S’ils le sont par le port d’un voile, il faut pouvoir prendre les mesures qui s’imposent. Néanmoins, dans une société laïque, donc ouverte à toutes les religions, il me semble qu’il serait plus urgent d’apprendre à mieux connaître l’autre, sa religion, ses valeurs, de comprendre ce qui relève de la radicalisation ou d’une pratique fervente, que de légiférer pour supprimer à chacun la liberté de dire ses convictions.