Article de la revue

« Prendre en compte mes salariés dans toutes leurs dimensions. »

Publié le 18/11/2016

Rencontre avec Jean-Eudes Tesson, chef d’entreprise, au sujet des interactions entre le travail et la vie privée.

Le mercure flirte avec les 30 °C, en cette n d’été, aux Sables d’Olonne. C’est sur le port de cette station balnéaire vendéenne que nous rencontrons Jean-Eudes Tesson, président du groupe éponyme et membre des EDC. Chaleureux et décontracté, l’homme d’affaire nous accueille dans l’un des quarante-deux entrepôts frigorifiques du réseau Sofrilog. À l’intérieur, la température chute à -25 °C.

Jean-Eudes Tesson dans son entreprise

 

C’est ici que l’entreprise a vu le jour. En 1919, Jean Tesson, grand-père de l’actuel président, lance une activité de fabrication de pains de glace destinés aux bateaux de pêche et aux glacières domestiques. Près d’un siècle plus tard, le groupe s’est largement développé avec trois métiers: la logistique frigorifique, celle du vin et l’informatique de gestion. Il emploie 700 salariés et réalise un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros.

Diplômé de l’École centrale Paris, Jean-Eudes Tesson rejoint la direction générale de l’entreprise familiale en 1982. Au l des années, son goût pour l’engagement l’amène également à créer et à présider plusieurs associations. Aujourd’hui, en plus de sa fonction au sein du groupe Tesson, il préside l’Acoss (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale). Pour- tant, l’homme d’action aspire à l’abandon. Une aspiration qui s’exprime dans sa foi: «C’est le lieu où je lâche prise et qui me libère d’une certaine tentation de toute-puissance. Cette capacité à l’abandon est possible car je me sens aimé de Dieu. Je sais que grâce à lui, je peux me laisser aller en toute confiance. Cette confiance me permet d’oser prendre des risques. Je suis convaincu de la confiance de Dieu en chacun de nous: le Seigneur agit en moi et me laisse agir. »

Entreprise Tesson

« J’aurais dû mourir »

Cette relation à Dieu joue un rôle essentiel dans la vie de Jean-Eudes Tesson : « Je sens sa présence dans mon être. Il est avec moi. Je n’ai pas toujours besoin de me mettre en situation de prière pour penser à lui ». Il naît dans une famille catholique et grandit dans la foi. Mais il pratique beaucoup moins lors de ses études. Sa vie prend un tournant il y a vingt-trois ans, suite à un accident de la route. « Ma voiture a fait plusieurs tonneaux dans le sens de la longueur. J’aurais dû mourir. » Pour rendre grâce à Dieu, il se rend au sanctuaire de Paray-le-Monial avec sa femme et ses enfants. Il y ressent pour la première fois un amour de Dieu plein de confiance, de tendresse, de lucidité et de miséricorde.

« Cette confiance en Dieu me permet d’oser prendre des risques. »

Au cours d’une nuit d’adoration, les époux ouvrent chacun de leur côté leur Bible au hasard. Ils tombent sur l’Évangile de leur mariage : « Vous êtes le sel de la terre (…) la lumière du monde (…) et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ». (Matthieu 5, 13-15). « Nous avons interprété cela comme un signe », affirme Jean-Eudes Tesson. Avec sa femme, ils sentent un appel à se mettre au service des couples et décident de se former au conseil conjugal. Une vocation qui mène le chef d’entreprise à la présidence du Cler amour et famille de 2007 à 2013.

Interactions entre travail et vie privée

Jean-Eudes Tesson avec sa famille

Cette préoccupation pour la famille et pour la personne, Jean-Eudes Tesson la porte au sein du groupe Tesson. Il veut prendre en compte ses salariés dans toutes leurs dimensions. Il a même créé un poste de care-manager. Un style de management qu’il évoque dans son livre La chasteté n’est pas ce que vous redoutez, paru en octobre: « C’est un ensemble d’attitudes et de comportements qui contribuent à permettre aux salariés de grandir en humanité, (…), d’unifier leur corps et leur esprit et de s’accomplir comme êtres de relation. »

Lorsque Jean-Eudes Tesson pousse la porte du siège du groupe, également située aux Sables d’Olonne, nous croisons sa fille Priscille Gauthier, directrice des services administratifs. Elle nous raconte l’histoire de Philippe. Cet analyste-programmeur était accro à la pornographie et pratiquait sur son lieu de travail. « Un jour, mon père a été contraint de le licencier. Mais il lui a proposé de s’installer comme travailleur indépendant et de continuer à travailler de chez lui comme sous-traitant, à condition qu’il se soigne. » Résultat, Philippe retrouve son CDI après six mois de consultation avec un sexologue. « Deux ans de thérapie plus tard, ce dernier a annoncé à mon père qu’il était guéri. Nous avons simplement cru qu’il pouvait s’en sortir », souligne Priscille Gauthier dans un sourire. « C’était un avantage pour Philippe, mais également pour l’entreprise: il était très compétent », renchérit Jean-Eudes Tesson.

« Ma famille… Ma priorité! »

Si Jean-Eudes Tesson est attentif à la vie privée de ses salariés, il l’est également à la sienne. Et ce midi comme plusieurs fois par semaine, il déjeune avec sa femme Alix et son ls Benoît. Une habitude de toujours. « Assez jeune, je me suis rendu compte que mon père ne répondait pas aux clichés du chef d’entre- prise, qu’il ne se laissait pas déborder par son travail », reconnaît Benoît. Pour vivre cela, Jean-Eudes Tesson s’est xé une règle d’or de l’un des principes essentiels de la doctrine sociale de l’Église : « Je suis attaché au principe de subsidiarité. Déléguer me permet d ’être présent auprès de ma famille et qu’elle soit convaincue qu’elle reste ma priorité ! », répond Jean-Eudes Tesson.

C’est d’ailleurs avec sa femme que l’homme d’affaire s’est engagé aux EDC en 1989. Il s’agissait de l’une des premières équipes intégrant les conjoints. «Je partageais beaucoup ses préoccupations professionnelles, et l’équipe me permettait de mieux le com- prendre et de partager sa reflexion», affirme Alix Tesson.

« Dans la prise en compte des difficultés que peuvent rencontrer les salariés dans leur vie privée, nous sommes souvent prisonniers des codes du monde du travail, notamment en réaction aux excès du paternalisme. Le paternalisme, initié par le patronat chrétien, partait pourtant d ’une bonne intention. Il s’agissait de prendre en compte le salarié dans toutes ses dimen-sions. Je pense que les EDC jouent un rôle essentiel pour permettre aux dirigeants de s’autoriser à être un peu “révolutionnaires”, pour les aider à oser. »

François-Xavier Anvers

Un passage de la Bible qui vous inspire  ?

L’évangile de mon mariage : « Vous êtes le sel de la terre… La lumière du monde… Ne laissez pas la lampe sous le boisseau » (Matthieu 5, 13 – 16)

Une figure religieuse qui vous marque  ?

Saint Jean Eudes, pour sa grande dévotion au cœur de Jésus.

Une figure du monde de l’entreprise ?

François Michelin.

Un moment important de votre vie ?

La naissance de mes enfants.

Une maxime ?

Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas,
mais parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. (Sénèque)