Eclairage spirituel

Elements historiques et philosophiques sur le principe de dignité

Publié le 01/09/2017

Une multitude de personnes est concernée : les jeunes, les clients, les travailleurs, les collaborateurs, les actionnaires, les dirigeants, les personnes handicapées, les prostituées et les transsexuels, les personnes abusées, violentées, dévastées, dispersées… La dignité vécue souffre de tensions parfois douloureuses : entre impératif de rentabilité et respect des personnes, entre normes et visages, entre efficacité et fraternité bienveillante.

Elle souffre même de dichotomies ruineuses : la fracture entre les discours et les actes et, en interne, entre les directives générales et les opérations concrètes. Le vocabulaire utilisé à son endroit trahit une oscillation, une hésitation, un flottement. C’est ainsi que la dignité sera conçue :

– tantôt comme transcendante, inaliénable, absolue, de l’ordre de l’ « être », et donc ontologique, au risque de se cantonner dans le ciel des idées et la métaphysique,

– tantôt comme affaire de regard posé sur quelqu’un, de programme à mettre en œuvre pour inclure les personnes, restaurer la fierté, articuler les compétences ; elle sera alors conjuguée dans le « faire » en obéissant à la raison pratique, et donc plutôt relative, d’ordre moral et/ou psychologique (sentiment de dignité).

Père Yves Gérard, conseiller spirituel de la région EDC Lorraine- Champagne-Ardenne

Avec la pensée biblique, on parvient à la transcendance de la personne : l’homme « image de Dieu », roi de la création, aimé et sauvé par Dieu.

L’Antiquité déblaie le terrain en distinguant avec Sénèque : ce qui a du prix (pretium) et qui peut être acheté ou remplacé par un équivalent, et ce qui a de la dignité (dignitas), n’a pas de prix, est irremplaçable parce que sans équivalent.

Au-delà de cette distinction fondamentale, l’Antiquité situera la dignité dans la notion d’excellence soit dans l’intelligence technique, soit dans la conformité à un idéal politique, soit dans la conformité à la nature. Ce n’est qu’avec la pensée biblique que l’on parvient à la transcendance de la personne : l’homme « image de Dieu », roi de la création, aimé et sauvé par Dieu. Thomas d’Aquin en distinguant sans séparer le corps et l’âme, maintiendra l’unité de la dignité ontologique, de l’espèce (être) et la dignité in actu (faire) par l’individu décidant en son âme.

La Renaissance placera la dignité dans l’activité de connaissance : elle n’a plus sa source en Dieu ou dans une révélation mais dans la rationalité de l’homme et le regard qu’il pose sur lui-même.

Les Modernes (Kant, Hegel et le XIXe siècle) fonderont la dignité sur le sentiment de respect pour la Loi morale qui permet à l’homme de se construire dans une histoire, dans un peuple. Ce travail de construction de soi passera selon les penseurs par la conformité à la volonté universelle, le développement de la conscience morale ou l’argumentation interactive.

On l’aura compris, on ne pensera pas la dignité et on ne la mettra pas en œuvre au travail simplement par une réflexion statique et notionnelle. Il y faudra une réflexion interactive et systémique (Morin) qui articule les exigences de la vie biologique (le corps), la vie sociale et ses normes et la morale personnelle porteuse d’un souci d’universalité et donc de transcendance.

L’un des plus beaux exemples n’est-il pas Salomon, tout jeune roi qui demande au Seigneur (1 Rois 3) « un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal »… « un cœur intelligent et sage » ?