Inde : les conséquences dramatiques d’un confinement imposé
Publié le 23/04/20201,3 milliard d’habitants en Inde… Rude tâche de confiner ce peuple, toujours prêt à obéir, mais incapable de se discipliner. Pourtant, grâce au confinement, aux efforts de traçage du gouvernement, et peut être d’autres facteurs inconnus, aujourd’hui, le nombre de personnes affectées s’élève à 13000, et les décès a 437. C’est peu pour une telle multitude… Le danger sanitaire parait s’éloigner, mais à quel prix ?
Depuis 4 semaines à Bangalore, dans le Karnataka comme partout en Inde, un confinement strict est imposé. Tout est ferme à part les magasins d’alimentation et les hôpitaux, d’ailleurs des œuvres en dehors des urgences. Seuls 2 hôpitaux publics possèdent des tests. Les stocks de masques, de kits sanitaires et de tests sont très insuffisants même pour le personnel soignant, et le manque de coordination ajouté a une passivité gouvernementale endémique rendent impossible la fabrication immédiate par les entreprises du pays.
Le trafic automobile ou 2 roues est interdit. Les magasins d’alcool et de cigarettes sont fermés.
Derrière chez moi, s’étend l’ancien bidonville -reconstruit en dur- des Pouramirkas, la caste des balayeuses de rues payées par le gouvernement. Un immense tas d’immondices signale l’entrée de ce quartier très peuple, que nettoient les vaches en liberté, en attendant l’arrivée d’un rickshaw de ramassage.
Toute la journée, entre deux passages de la police, les enfants jouent au cricket dans la rue. Les hommes échangent quelques phrases sous l’immense “Rain tré” qui les protège de la chaleur d’été, des jeunes aux cheveux gomines se prennent en selfie, “pour ti Tok” me disent-ils. Dans la matinée, une ou deux carrioles chargées de légumes rameute les ménagères qui viennent se presser autour- le pan du sari ramené sur la bouche pour se protéger.
De mes fenêtres j’entends un brouhaha humain incessant, déchiré par le chant d’un coq ou le mugissement d’une vache, l’appel du muezzin qui resonne depuis les minarets, quelques mélopées en sanskrit qui montent du petit temple a cote.
Cette ville de 11 millions d’habitants prend soudain des allures de village, et les arbres flamboient de couleurs d’été.
Comment tout ce peuple d’artisans, de micros entrepreneurs, de gardiens, de chauffeurs de rickshaws, et de journaliers subsiste-t-il durant cette crise? Sans revenus, et sans économies ?
Pas de sécurité sociale, pas d’emplois sécurisés, pas de retraite, pas d’existences légales. Aucun droit garanti pour cette population qui, avec les petits fermiers, s’élève à 850 millions d’adultes en Inde, dont la moitié sans emploi. De leur travail, dépendent encore quelque 400 millions de personnes âgées et d’enfants…
Ce secteur, qui représente 90% de la population en activité, est dit “inorganisé” et pourtant… tous les jours de leur vie, ces gens font preuve d’une créativité sidérante, d’une détermination colossale, et d’un espoir toujours renouvelé pour aller bouffer du pave et vendre leurs bras, ou quelques babioles et bien d’autres activités …
Va-t-il y avoir des émeutes ? Des rebellions ?
Le monde entier s’est ému du calvaire de ces journaliers qui, à bout de ressources dès le 1er jour, se sont jetés sur les routes pour tenter de rejoindre leurs villages à pied. Maltraites, et parques sur place, ils sont maintenant 2 millions, nourris soit par le gouvernement, soit par les ONG.
Les autres, pour le moment, s’ajustent là où ils sont. 4 Sacs de riz et de dalh, quelques épices et des oignons, voilà le stock familial pare pour un mois, l’économie de pénurie, ils connaissent… L’impuissance, ils savent la reconnaitre et l’accepter. Et ils ont l’habitude d’économiser leurs forces pour se battre quand ils le doivent et quand ils le peuvent.
Par contre, Il faudra, pour Modi, apprécier leurs limites, car si le confinement devait durer trop longtemps, ils sont aussi capables d’exprimer une grande violence. Sagement, le déconfinement est annonce pour le 3 mai. En attendant, le gouvernement ouvre ses greniers pour nourrir la population.
Dans le secteur dit “organisé”, (10% de la population active), la situation n’est pas bonne pour les petites et moyennes entreprises, ou pour l’industrie de production.
Commandes annulées y compris celles en cours, paiements non reçus, la liste des méfaits des clients se répercute d’une entreprise à l’autre comme un galet sur l’eau… au grand bonheur des banques en Inde, qui peuvent ainsi charger des intérêts supplémentaires, sans que personne ne les empêche.
L’entrepreneur indien s’interroge. Cette cascade mondiale et domestique d’annulations de commandes s’arrête chez lui. Vers qui se tourner pour préserver son entreprise? A celui qui produit, il ne reste qu’un recours : arrêter les salaires. Et par la même, tenir à pleine mains, le manche d’un couteau dont il ne contrôle pas la trajectoire et l’abattre sur la population la plus faible de la planète. Quelle responsabilité, quelle injustice…
Dur de s’en laver les mains, la conscience est plus tenace que le Coronavirus…
C’est là que, fort à propos, le gouvernement du Karnataka, qui pourtant n’adhère pas à la PSC, décide de clore le débat par une liste de pieuses recommandations, assorties pour certaines de menaces à peine voilées:
Les commandes ne doivent pas être annulées (sic, un peu tard)
L’employeur devra payer les salaires.
L’employeur a interdiction de licencier.
Force d’agir dans ce sens, l’entrepreneur sauve son âme mais tue l’avenir de son entreprise.
Chacun dans le monde fait ce qu’il peut, avec les moyens dont il dispose, et avec le soutien qu’on lui apporte. En Inde, sans moyens, et sans soutien, l’effet Coronavirus a été immédiat. La catastrophe économique affecte déjà la majorité de la population. Comme toujours, arme d’une force vitale exceptionnelle, le pays rebondira. Mais au prix de souffrances toujours renouvelées pour les hommes, les femmes, et les enfants… c’est un chemin de croix qui n’en finit pas.
Florence et Denis Germain