Fiche Points de Repères des EDC sur l’écologie intégrale
Publié le 20/11/2018A l’issue de la discussion en Commission Repères du 26 octobre 2018, la présente fiche a été établie afin de partager à tous les questionnements des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens sur ce sujet.
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La parution du nouveau rapport du GIEC sur les impacts et les conditions de la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C[1] et le même jour, le 8 octobre 2018, l’octroi du Prix de la Banque de Suède en économie (ou « Prix Nobel » de l’économie) à deux chercheurs américains étudiant, d’une part, la modélisation des impacts négatifs futurs (William Nordhaus) et, d’autre part, l’innovation technologique (Paul Romer) constituent deux événements qui ramènent au premier plan de l’actualité la question du climat, et plus largement de l’écologie intégrale selon Laudato Si’.
Ils posent des questions urgentes : « Que peut-on/doit-on faire pour lutter contre le réchauffement climatique et pourquoi ? Quelles réponses (partielles) ont-elles déjà été apportées et comment leurs effets sont-ils mesurés? ». Ces questions s’adressent tout particulièrement à nous, Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, sur l’action de nos entreprises.
1/- Quelques repères spirituels
De nombreux textes émanant des différentes autorités religieuses chrétiennes ont été émis depuis 2015, à l’occasion de la préparation de la COP 21 et de la publication de l’encyclique Laudato Si’. Ils insistent sur la conversion nécessaire de notre attitude vis-à-vis tant de la Création, donc de la nature ou de l’environnement, que des autres hommes, de la culture et de la société, voire de l’humanité toute entière. Ces prises de position ne sont pas nouvelles.
– Pour le Patriarche Bartholomée de Constantinople, « l’impérieuse mission des religions en général, et du christianisme en particulier, tient à la force transfiguratrice de la foi faisant de tout danger un appel à la conversion des cœurs ». Et il poursuit : « le sens de notre implication dans un combat aussi crucial pour la sauvegarde de notre planète est triple : éduquer, convertir et glorifier.
Par éduquer, nous entendons prolonger la dialectique entre foi et raison, c’est-à-dire articuler des éléments de connaissance rationnelle aux inspirations de l’âme. Les questions environnementales sont au carrefour de cette attention. (…)
Par ailleurs, il faut comprendre la conversion de l’être intérieur comme le point de départ d’une conversion extérieure. Les scientifiques mettent inlassablement en avant la nécessité d’un changement radical de nos modes de vie afin de limiter les actions polluantes qui influent sur les changements climatiques. Il s’agit ici d’une réalité que le christianisme appelle « metanoia », un retournement tout entier de l’être. Ce dernier encourage à constamment interroger la nécessité de nos besoins, afin de dissocier ce qui relève de la convoitise et ce qui relève du bien. (…)
Enfin, par glorifier, nous en revenons au fondement même de notre mission spirituelle. (…) La puissance de l’humanité est inversement proportionnelle à la puissance de la nature. Aussi, pour résoudre cette relation antinomique ne devons-nous pas devenir les maîtres de la création, mais plutôt libérer cette création d’un agir humain dominateur dans un mouvement d’action de grâce qui se révélerait à travers les gestes quotidiens que nous y posons. (…) »
– Frédéric de Coninck , sociologue et théologien mennonite, a publié « Agir, travailler, militer. Une théologie de l’action »[2] où il rappelle le fondement spirituel de nos actions. « Cela nous renvoie à une vision globale de la foi, qui va au-delà de ce que l’on appelle, techniquement, une « confession de foi » et qui concerne un mode de vie dans son ensemble. La foi des premiers chrétiens n’était pas simplement une croyance théorique, mais aussi une croyance pratique : elle englobait des choix de vie, une manière de consommer, un mode de rapports interpersonnels, un certain type de vie communautaire, etc. C’est la question de cette foi comme mode de vie que la problématique écologique fait resurgir aujourd’hui.(…)
Il faut rentrer dans ces questions de mode de vie avec prudence et, une fois encore, plutôt considérer les choix de vie qui sont les nôtres comme des symptômes qui nous interrogent sur nos choix profonds.
Frédéric de Coninck insiste sur la nécessité d’un mode de vie enraciné dans une spiritualité élargie : « Pour ne pas glisser de cet appel à un mode de vie en rupture avec les choix de nos contemporains à un nouveau légalisme, il est nécessaire de l’enraciner dans une spiritualité qui lui donne son sens, son souffle et sa motivation. (…)Il faut accéder au trésor du cœur à cœur avec Dieu que nous ouvre le ministère du Christ, pour considérer avec plus de distance les richesses qui nous entourent.
On se situe ici au niveau d’une aventure intime qui traverse notre être tout entier. La vie sobre apparaît, ainsi, suite à une conversion qui donne une perspective nouvelle à nos choix de vie ».
– Les papes successifs depuis saint Paul VI ne cessent d’appeler à cette conversion, devant les dangers que court l’humanité. Déjà en 1970, saint Paul VI écrivait : « Nous voulons souligner l’urgence et la nécessité d’un changement presque radical dans le comportement de l’humanité, si elle veut assurer sa survie. Il a fallu des millénaires à l’homme pour apprendre à dominer la nature, “à soumettre la terre” selon le mot inspiré du premier livre de la Bible (Gn 1,28). L’heure est maintenant venue pour lui de dominer sa domination, et cette entreprise nécessaire ne lui demande pas moins de courage et d’intrépidité que la conquête de la nature »[3].
Saint Jean Paul II en 1990 appelait à la responsabilité et à la conversion : « L’éducation à la responsabilité écologique n’est pas un refus du monde moderne. Elle suppose une conversion authentique dans la manière de penser et d’agir. L’éducation à la responsabilité écologique est donc nécessaire et urgente : responsabilité envers soi-même, responsabilité à l’égard des autres, responsabilité à l’égard de l’environnement. (…) La véritable éducation à la responsabilité suppose une conversion authentique dans la façon de penser et dans le comportement. (…)
Le signe le plus profond et le plus grave des implications morales du problème écologique se trouve dans les manquements au respect de la vie qui se manifestent dans de nombreux comportements entraînant la pollution. Les conditions de la production prévalent souvent sur la dignité du travailleur, et les intérêts économiques l’emportent sur le bien des personnes, sinon même sur celui de populations entières. Dans ces cas, la pollution ou la destruction de l’environnement sont le résultat d’une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l’homme »[4].
Benoît XVI parlait lui aussi déjà d’écologie humaine en ces termes : « En plus de l’écologie de la nature, il y a une “écologie” que nous pourrions appeler “humaine”, qui requiert parfois une “écologie sociale”. Et cela implique pour l’humanité, si la paix lui tient à cœur, d’avoir toujours plus présents à l’esprit les liens qui existent entre l’écologie naturelle, à savoir le respect de la nature, et l’écologie humaine »[5].
– Pour la Fédération protestante de France, Martin Kopp s’est exprimé dès le 10 octobre 2018[6] sur le sujet : « Hier s’achevait l’assemblée bisannuelle du Réseau chrétien environnemental européen (ECEN), à laquelle j’ai participé au nom de la commission écologie – justice climatique de la Fédération protestante de France. Nous y avons entendu les récits des initiatives chrétiennes foisonnant en Europe, du Royaume-Uni, qui vient de fêter la labellisation de la millième « Éco-Église », à la Norvège, où une cathédrale est en train d’être construite à partir du plastique ramassé sur les plages du pays. Apprendre ce qui se passe ailleurs, rencontrer d’autres chrétiens et chrétiennes engagés, échanger autour de nos peines et de nos joies, prier et célébrer ensemble, sont de puissants leviers spirituels.
Car c’est bel et bien à ce niveau-là que la conversion et la transition écologiques se jouent. Il s’agit de refuser le déni et d’avoir le courage de la lucidité. De gérer la fatigue et de renouveler nos forces. De refuser le fatalisme et de choisir l’espérance ».
2/- Discussion
- Les ONG de développement ou de défense de l’environnement portent des messages forts, qui visent souvent les entreprises[7]. Nous devons les entendre et avoir le souci d’y répondre : comment transformer – ce qui est la vocation des entreprises de production – sans détruire irrémédiablement les richesses qui nous sont confiées ?
- Des solutions techniques existent ou peuvent être inventées et développées par les entrepreneurs bien orientés, les exemples abondent. L’innovation peut être vertueuse et viser le long terme, même s’il faut rester modestes dans nos efforts pour contrecarrer les dommages qu’a produits l’activité humaine depuis des siècles…
- Donner des exemples et attirer l’attention sur l’urgence à agir chacun où nous sommes peut aider à accélérer la prise de conscience et l’action correctrice.
- Mais l’essentiel est dans notre vision « spirituelle » de la terre, de l’homme et de la culture de nos sociétés. L’homme est co-créateur de la Création, qui lui est confiée pour la faire fructifier et grandir, pas seulement matériellement, mais aussi en beauté. Nous devons avoir conscience de ce rôle au service du Bien commun.
- Agir pour le Bien commun suppose de chercher ce qui consolide la fraternité, la solidarité, la capacité d’agir de tous, y compris et surtout des plus pauvres.
- Le point de bascule est entre « personnes » et « matériaux » ou ressources, dont on use… La dignité des personnes est essentielle et fonde notre vision de l’homme… et notre attitude envers la nature, purement mercantile ou respectueuse de ce que nous avons reçu.
- La qualité de nos produits et services est également à rechercher, à mettre en avant, comme un témoignage de dignité des clients et des consommateurs. Ne pas leur proposer des images séduisantes, mais illusoires… Rester dans la vérité de ce que l’on offre et des discours qui l’accompagnent. La sobriété est aussi dans le regard qu’on y porte…
- Un point spirituel fort se situe dans la considération du long terme, dans la durée, dans la persévérance et dans la constance dans les actions engagées (cf. récent ouvrage de FX. Bellamy : « Demeure»), avec une prise en compte des impacts externes, sachant que l’économie est « incomplète » sur ce point, malgré les travaux des deux Prix Nobel récents. Cela reflète notre espérance en l’avenir.
- Et surtout dans la communion des personnes, visée in fine, sur toute la planète où nous circulons, surtout les jeunes, dans un esprit de partage, de répartition des biens et de relations entre les parties qui soient personnelles et humaines au sens le plus profond.
3/- Conclusion et questionnements pour les entrepreneurs et dirigeants chrétiens
A la suite de l’Université d’automne des EDC, interrogeons-nous avec Fabrice Hadjadj sur notre attitude à l’égard des richesses (naturelles, humaines, technologiques, etc.) qui nous sont confiées pour les développer :
- Ai-je une attitude de possession « juste », c’est-à-dire en vue de les rendre utiles et non de les thésauriser ou de les écraser de ma toute-puissance ?
- Quelles actions puis-je entreprendre dans mon entreprise, ou personnellement, pour limiter mon impact sur la planète ? Ai-je déjà discuté de cela en comité de direction, ou en famille ? Puis-je témoigner d’un engagement concret à ce sujet ?
- Suis-je impliqué dans des réflexions collectives, de branches ou de recherche technique ?
Pour apporter des nuances ou des précautions par rapport à des solutions qui seraient imposées aux entreprises (taxes, normes, prix, etc.) collectivement par l’Etat ou par des accords internationaux, pouvons-nous progresser ensemble sur la voie de « redéfinir le progrès » comme nous y invite le pape François dans Laudato Si’, en partageant nos expériences innovantes en ce sens ?
Plus largement, nous chercherons à définir et à mettre en œuvre une « économie du Bien commun », dans nos entreprises et au-delà.
De ce point de vue, la Responsabilité sociétale des entreprises et – pour certaines – se doter d’une « raison d’être » ou d’un statut d’entreprise à mission élargie (tels que proposés dans le projet de loi PACTE) sont des moyens d’afficher des préoccupations envers nos parties prenantes plus larges que celle du profit, même si celui-ci est nécessaire pour la pérennité de l’entreprise et peut par ailleurs être partagé généreusement.
Notre rôle est également collectif, dans la société pour témoigner de nos raisons d’agir et de notre vision de la Création et de l’homme, et concrètement dans nos engagements dans la cité pour aider ceux que nous rencontrons, chacun où nous sommes, à cheminer vers un même objectif de Bien commun.
4/- Les EDC en action
- Alexandre Sevenet, président du groupe Nepsen dont l’activité est fondée sur l’ éco-energie dans les projets de construction, réhabilitation énergétique, lignes de production, utilités industrielles, installations thermiques, climatiques ou aérauliques…( basée à Paris) cf. article de la revue du 6/9/2016 « faire progresser chacun dans l’entreprise »
- Eric Boël dirigeant Les Tissages de Charlieu qui a créé l’association Alter Tex pour une filière du textile durable et responsable ( basée à Charllieu près de Roanne). Lauréat 2016 du prix Philibert Vrau de la Fondation des EDC cf. témoignage d’éric Boel dans un ouvrage collectif sur le Bien commun
- Frédéric Granotier, fondateur et dirigeant de LUCIBEL qui conçoit et produit des solutions d’éclairages avec la technologie LED et qui développe des solutions innovantes telles que la solution « LiFi by Lucibel » d’accès à internet par la lumière ( basée à Paris) cf. article de la revue dirigeants chrétiens n°74, vers une écologie intégrale publié le 1/11/2015
- Olivier Baud, président-fondateur d’Energy Pool et lauréat 2015 du Prix Philibert Vrau de la Fondation des EDC qui a développé une offre de gestion intelligente du système électrique (Demand Response), qui opère comme une interface entre les acteurs du système électrique tels que les gestionnaires de réseaux, et les gros consommateurs réunis au sein d’un pool. cf. reportage kto 10/10/2017
[1] Communiqué de presse du GIEC [2] Agir, travailler, militer. Une théologie de l’action, éd. Excelsis. [3] 25ème anniversaire de la FAO, 16 novembre 1970. [4] Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 1990. [5] Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 2007. [6] Article dans Réforme, 10 octobre 2018. [7] Communiqué commun de 9 organisations catholiques suite au rapport du GIEC