La réforme des retraites

La réforme des retraites crée de nombreux débats, tensions, conflits. Au-delà de ses nombreuses dimensions politiques ou techniques, la question de la retraite nous ramène toujours à une question anthropologique : quelle conception avons-nous du travail ? Comment abordons-nous ce temps de retrait du monde professionnel ? Qu’attendre de cette forme d’abandon où la notion d’efficacité et même d’utilité change radicalement ? etc.

Ce dossier est issu du travail de la Commission Repères du 21 juin 2019 afin de partager à tous les questionnements des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens sur ce sujet.

Sommaire
    Fiche Points de repères proposée par les EDC
    19612
    Fiche Points de Repères « Quel sens donner à sa retraite? »

    A l’issue de la discussion en Commission Repères du 21 juin 2019, la présente fiche a été établie afin de partager à tous les questionnements des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens sur ce sujet.

    Eclairages dans la bible et la pensée sociale chrétienne
    Les enfants ont un devoir matériel vis-à-vis de leurs parents âgés

    « Tu honoreras la personne du vieillard (Lv 19, 32) L’estime manifestée au vieillard dans les Ecritures se transforme en loi : « Tu te lèveras devant une tête chenue, […] et tu craindras ton Dieu » (ibid.). Et encore : « Honore ton père et ta mère » (Dt 5, 16). Une exhortation très délicate en faveur des parents, en particulier dans leur grand âge, se trouve également au troisième chapitre du Siracide (vv. 1-16), qui s’achève par une affirmation d’une gravité particulière : « Tel un blasphémateur, celui qui délaisse son père, un maudit du Seigneur, celui qui fait de la peine à sa mère ». Il faut œuvrer pour endiguer la tendance, aujourd’hui répandue, à ignorer les personnes âgées, à les marginaliser et qui « apprend » aux nouvelles générations à les abandonner : jeunes, adultes et personnes âgées ont besoin les uns des autres. »                                                                   Dignité et mission des personnes âgées dans l’Eglise et dans le monde
    (extrait du document du Conseil Pontifical pour les laïcs, publié à l’occasion du Jubilé de l’an 2000)

    La famille, communauté de travail et de solidarité entre les générations doit être au cœur de la politique sociale pour le bien commun.

    « Pour dépasser la mentalité individualiste répandue aujourd’hui, il faut un engagement concret de solidarité et de charité qui commence à l’intérieur de la famille par le soutien mutuel des époux, puis s’exerce par la prise en charge des générations les unes par les autres. C’est ainsi que la famille se définit comme une communauté de travail et de solidarité. Cependant, il arrive que, lorsque la famille décide de répondre pleinement à sa vocation, elle se trouve privée de l’appui nécessaire de la part de l’Etat, et elle ne dispose pas de ressources suffisantes. Il est urgent de promouvoir non seulement des politiques de la famille, mais aussi des politiques sociales qui aient comme principal objectif la famille elle-même, en l’aidant, par l’affectation de ressources convenables et de moyens efficaces de soutien, tant dans l’éducation des enfants que dans la prise en charge des anciens, afin d’éviter à ces derniers l’éloignement de leur noyau familial et de renforcer les liens entre les générations. »                                               Centesimus annus, 1991

    Il ne suffit pas de prendre en charge financièrement les personnes âgées, il faut également les aider à bien vivre humainement, socialement et spirituellement.

    Tu te lèveras devant une tête chenue, tu honoreras la personne du vieillard ” (Lv 19, 32). Honorer les personnes âgées implique un triple devoir à leur égard : les accueillir, les assister et mettre en valeur leurs qualités. Dans beaucoup de milieux, tout cela se pratique presque spontanément, comme par une habitude très ancienne. Ailleurs, en particulier dans les nations les plus évoluées sur le plan économique, c’est un devoir d’opérer une inversion de tendance pour faire en sorte que ceux qui avancent en âge puissent vieillir dans la dignité, sans devoir craindre d’être réduits à ne compter pour rien. Il faut se convaincre qu’il appartient à une civilisation pleinement humaine de respecter et d’aimer les personnes âgées, pour que, malgré l’affaiblissement de leurs forces, elles se sentent partie prenante de la société. Cicéron avait déjà observé que “ le poids de l’âge est plus léger pour qui se sent respecté et aimé de la jeunesse ”.

    Lettre du pape Jean-Paul II aux personnes âges – 1999.

    Eléments de discernement proposés par la pensée sociale chrétienne sur la réforme des retraites

    Le combat pour la justice exige davantage que la conversion personnelle et la charité : celle-ci doit conduire à œuvrer en faveur d’une réforme des structures et des institutions.

    Les réformes doivent être conduites dans un esprit de vérité pour être justes.

    « De là, découle la nécessité de conjuguer l’amour avec la vérité non seulement selon la direction indiquée par saint Paul: celle de la « veritas in caritate » (Ep 4, 15), mais aussi, dans celle inverse et complémentaire, de la « caritas in veritate ». La vérité doit être cherchée, découverte et exprimée dans l’ « économie » de l’amour, mais l’amour à son tour doit être compris, vérifié et pratiqué à la lumière de la vérité. Nous aurons ainsi non seulement rendu service à l’amour, illuminé par la vérité, mais nous aurons aussi contribué à rendre crédible la vérité en en montrant le pouvoir d’authentification et de persuasion dans le concret de la vie sociale. » Caritas in veritate, Benoit XVI, 2009

    Les points d'attention sur la réforme des retraites
    • Contrairement aux réformes précédentes, le financement des retraites n’est pas en cause dans le projet. En effet, la précédente réforme a permis de préparer l’avenir des générations futures qui seront les cotisants de demain. Ce point est fondamental.

    « Il semble juste de ne pas faire peser tout l’effort sur les générations futures. Il y va du respect qui leur est dû. L’absence de réforme serait insupportable étant donné l’augmentation de l’espérance de vie. (…)  Parce qu’on vit plus vieux, l’allongement du temps de cotisation est normal. Il est heureux que du côté politique comme du côté syndical la question soit étudiée. »

    Interview de Mgr Jean-Charles Descubes, archevêque de Rouen,
    alors qu’il présidait le Conseil famille et société de la CEF (juin 2010)

    –          La question majeure de la réforme concerne l’harmonisation des régimes. Dans la recherche du bien commun, la pensée sociale chrétienne encourage à plus de lumière et les systèmes trop complexes (structures de péchés) créent de la jalousie et blessent l’esprit d’unité et de partage.
    « La négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de pro­tection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. Quand toutes ces relations sont négligées, quand la justice n’habite plus la terre, la Bible nous dit que toute la vie est en danger. » Laudato Si 70

     

    • Les familles, et en particulier les familles nombreuses et les femmes n’ayant pas travaillé, risquent d’être pénalisées par la réforme. A ce sujet, on peut lire le communiqué des Associations familiales catholiques :

    « Ce serait en effet paradoxal et injuste que les familles dont les enfants seront les futurs contributeurs des retraites de demain, et notamment les familles nombreuses, se voient pénalisées par cette réforme. Dès lors, cette réforme ne doit pas conduire à supprimer ou même réduire les « droits familiaux ».

    C’est ainsi que doit être maintenue la majoration de 10 % des pensions des retraités qui ont eu à charge au moins 3 enfants. Tout au contraire, le plafond annuel de 1 000 € de cette majoration en vigueur dans le régime complémentaire de l’AGIRC doit être supprimé ou à tout le moins relevé.

    De même, la majoration de la durée d’assurance pour les femmes, de 8 trimestres par enfant élevé jusqu’à l’âge de 16 ans, doit être préservée. On relève en effet qu’à la naissance du 3ème enfant, le taux d’emploi des femmes chute de 35 %. La MDPA permet de compenser, quelque peu, le fait que les femmes ont souvent des carrières professionnelles plus courtes et plus discontinues que les hommes.

    Enfin l’AVPF (Assurance vieillesse du parent au foyer), même si elle est versée sous des conditions de ressources particulièrement faibles, contribue à réduire la modicité des pensions de retraite des femmes. Cela justifie pleinement la réversion de la pension de retraite du conjoint décédé sur le conjoint survivant. Cette réversion permet de diminuer de 15 points l’écart des pensions de retraite entre les femmes et les hommes. À défaut, l’écart serait de 40 %. Et la réversion profite essentiellement aux veuves pour 87 % des veufs et veuves.

    Le taux de la réversion varie selon les régimes. II est de 50 % dans le secteur public, de 54 % pour le régime de base de la CNAV pour les salariés du privé, et de 60 % à 64 % pour les pensions servies par les régimes complémentaires AGIRC- ARRCO mais sous conditions de ressources et sous un plafond. »

     

    • L’âge du départ à la retraite pourrait être remis en cause. Sur le passage de la vie active à la retraite, l’Eglise catholique a pris des positions pragmatiques : tout dépend de l’activité et du désir de l’intéressé.

    « La séparation d’avec le monde du travail et d’avec tout ce qui lui est lié advient de manière brusque, peu flexible, et ne coïncide que rarement avec les temps et les modalités choisis par les intéressés. (…) Il semble désormais prouvé que la mise à la retraite obligatoire entraîne un processus de vieillissement précoce alors que l’exercice d’une activité au-delà de l’âge de la retraite aurait un effet bénéfique sur la qualité de la vie. »                                     Dignité et mission des personnes âgées dans l’Eglise et dans le monde
    (extrait du document du Conseil Pontifical pour les laïcs publié à l’occasion du Jubilé de l’an 2000)

    • La question des retraites est traitée de manière séparée des autres aspects de la vieillesse et de la nécessité d’un projet de société. Or, la prise en charge financière des ainés n’est pas suffisante. Les chrétiens peuvent être des sentinelles sur cet aspect.
      Le document Dignité et mission des personnes âgées dans l’Eglise et dans le monde (extrait du document du Conseil Pontifical pour les laïcs, publié à l’occasion du Jubilé de l’an 2000) est très éclairant sur ce point :
      « La vie des personnes âgées […] aide à éclairer l’échelle des valeurs humaines ; elle fait voir la continuité des générations et démontre à merveille l’interdépendance du peuple de Dieu ». (Jean-Paul II-1980) L’Eglise est, de fait, le lieu où les diverses générations sont appelées à participer au projet d’amour de Dieu dans un rapport d’échange réciproque des dons dont chacun est porteur par la grâce de l’Esprit Saint. Un échange au sein duquel les personnes âgées sont porteuses de valeurs religieuses et morales qui représentent un riche patrimoine spirituel pour la vie des communautés chrétiennes, des familles et du monde. » (…)
      « Se souvenir que si les personnes âgées ont le droit de trouver un espace dans la société, elles ont plus encore le droit à une place d’honneur au sein de la famille. Il faut rappeler à la famille, destinée à être une communion de personnes, la mission qui lui est propre : à savoir de préserver, de révéler et de communiquer l’amour. Il faut lui rappeler son devoir de pourvoir à l’assistance de ses membres les plus faibles, y compris les plus vieux, en les entourant d’affection. Enfin, il faut aussi se souvenir que la famille a besoin de soutiens adéquats : aides économiques, services sociaux et médicaux, ainsi que d’une politique du logement, des retraites et de la sécurité sociale. » (…)
      « 
      Dans une société de consommation qui voit l’égoïsme et le matérialisme triompher et au sein de laquelle les moyens de communication ne servent en rien à contenir la solitude croissante de l’homme, des valeurs comme la gratuité, le dévouement, la compagnie, l’accueil et le respect des plus faibles représentent un défi pour ceux qui souhaitent la naissance d’une nouvelle humanité et, par conséquent, pour les jeunes aussi. » (…)
      « La société et les institutions qui sont préposées à ces questions sont appelées à ouvrir aux personnes âgées de justes espaces de formation et de participation. Elles doivent aussi leur garantir des formes d’assistance sociale et médicale adaptées à la diversité des exigences et répondant au besoin de la personne humaine de vivre dans la dignité, la justice et la liberté. A cette fin, en plus des politiques de l’Etat attentives à favoriser et à protéger le bien commun, il est nécessaire – dans le respect du principe de subsidiarité – de soutenir et de mettre en valeur l’action du volontariat et les initiatives qu’inspire la charité chrétienne. »

     

    • A noter : veilleur du bien commun, les évêques de la communauté européenne proposent que notre solidarité dépasse nos frontières nationales.

     « Plus particulièrement dans le contexte du chômage de masse, la politique sociale de l’UE et de ses États ne doit pas se contenter d’apporter une aide financière à ceux qui en ont besoin pour s’en sortir.

    (…) les efforts au niveau européen pour faciliter la mobilité des travailleurs devraient être intensifiés dans l’économie sociale de marché européenne.

    En matière de transférabilité des droits à la retraite professionnelle, il incombe aux partenaires sociaux européens, dans le cadre du dialogue social européen, de présenter une proposition de directive européenne. Nous saluons dans ce contexte le rôle que jouent ceux-ci dans l’ensemble des dispositions de la politique sociale de l’Union. Nous invitons les institutions de l’Union à créer les conditions pour qu’en ce temps de crise et d’adaptation parfois très difficiles, le dialogue social entre les partenaires européens puisse jouer le rôle qui lui revient au regard du cadre législatif européen. » Déclaration des évêques de la COMECE sur l’objectif d’une économie sociale de marché compétitive dans le traité de l’Union Européenne. 2012