La terre est à tous et les biens doivent affluer entre les mains de tous
Publié le 23/01/2020Le principe de la destination universelle des biens1 peut s’énoncer ainsi : « Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité ».2
Ainsi chaque personne par le simple fait qu’elle est humaine a le droit de bénéficier des biens nécessaires à sa vie et son épanouissement « sans exclure ni privilégier personne ».3 Qu’il s’agisse de ses besoins primaires nécessaires à sa subsistance ou de biens immatériels comme l’éducation, la culture ou ces nouveaux biens qui apparaissent grâce à l’ingéniosité et la créativité des hommes. Saint Jean Paul II rappelle que « Les nouvelles connaissances techniques et scientifiques doivent être mises au service des besoins primordiaux de l’homme, afin que le patrimoine commun de l’humanité puisse progressivement s’accroître. »4
Ce principe est premier « Tous les autres droits, quels qu’ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés [à la destination universelle des biens] : ils n’en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation, et c’est un devoir social grave et urgent de les ramener à leur finalité première ».5
Cette responsabilité de « faire affluer entre les mains de tous les biens de la création » est confiée par Dieu à tous les hommes et à chacun de nous en particulier. « Donner à chacun sa part d’héritage6 » est une question de justice.
C’est surtout une question d’amour. Aimer notre prochain c’est veiller à ce que chacun reçoive tout ce dont il a besoin pour répondre pleinement à sa vocation d’enfant de Dieu. C’est aussi mettre de soi-même dans la transmission de ces biens aux autres.
Aimer notre prochain, c’est certes aimer les personnes qui nous sont proches et celles qui appartiennent à nos communautés mais le Christ nous demande davantage. En nous demandant de nous occuper de notre prochain, il nous confie tous les hommes qui sont dans le besoin sans limites.7
C’est aussi aimer ceux que nous servons dans nos engagements. Le pape François parle d’un amour social et politique.8 « L’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui essaient de construire un monde meilleur. L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité qui, non seulement concerne les relations entre les individus mais aussi les « macro-relations : rapports sociaux, économiques, politiques ». (…). L’amour social est la clef d’un développement authentique… ».9
La destination universelle des biens est ainsi une voie très concrète de la mise en œuvre de l’évangile.
Parmi les principes de la Pensée Sociale Chrétienne, elle est l’un des plus exigeants10parce qu’elle nous invite directement à revoir notre rapport à tout ce que nous possédons, à nous mettre au service les uns des autres et à revoir notre organisation sociale et économique.
Nous sommes donc au cœur de la Pensée Sociale Chrétienne. Ainsi que le Christ le dit à sainte Catherine de Sienne : « Je ne donne pas toutes les vertus également à chacun … Il en est plusieurs que je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre … A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive … Quant aux biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine, je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de pratiquer la charité les uns envers les autres … J’ai voulu qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes ministres pour la distribution des grâces et des libéralités qu’ils ont reçues de moi ». 11
Cet article est extrait du Cahier des EDC La destination universelle des biens
- L’homme est incarné dans le monde, il ne peut se passer de biens pour vivre. C’est en ce sens que l’on peut lire les premiers chapitres de la Genèse et l’entrée du peuple élu dans la terre sainte : « Dieu parla à Moïse. Il lui dit : « Je suis le Seigneur. Je vous ferai sortir loin des corvées qui vous accablent en Égypte. Je vous délivrerai de la servitude. Je vous rachèterai d’un bras vigoureux et par de grands châtiments. 07 Je vous prendrai pour peuple, et moi, je serai votre Dieu. Alors, vous saurez que je suis le Seigneur, votre Dieu, celui qui vous fait sortir loin des corvées qui vous accablent en Égypte. 08 Puis, je vous ferai entrer dans la terre que, la main levée, je me suis engagé à donner à Abraham, à Isaac et à Jacob. Je vous la donnerai pour que vous la possédiez. Je suis le Seigneur ». » Ex 6, 6-8 ↵
- Concile Œcuménique Vatican II, Constitution pastorale. Gaudium et spes, 69: AAS 58 (1966) 1090. ↵
- Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique §171 ↵
- Saint Jean-Paul II, Encycl. Centesimus annus 32 ↵
- Populorum progressioPopulorum progressio §12 ↵
- « Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous. » Laudato si §93) ↵
- « le prochain, c’est tout être sans exception. Il est inutile de demander sa nationalité, son appartenance sociale ou religieuse. S’il est dans le besoin, il faut lui venir en aide » Saint Jean Paul II, Homélie pour la béatification de Fréderic Ozanam du 22 aout 1997 citée dans le n°577 de la revue Permanence. Alors que dans la plupart des cultures, le frère est le membre de ma communauté, le christianisme aboli les frontières. Tout homme est le frère de tout homme. ↵
- « La politique est la forme la plus haute de la charité, car elle cherche le bien commun ». Le Pape François aux élèves des Jésuites, le 7 juin 2013. Dans son propos, François place la politique dans son sens le plus noble c’est-à-dire développer le bien commun dans la cité. « La charité sociale et politique ne s’épuise pas dans les rapports entre les personnes, mais elle se déploie dans le réseau au sein duquel s’insèrent ces rapports et qui constitue précisément la communauté sociale et politique, intervenant sur celle-ci en visant le bien possible pour la communauté dans son ensemble. (…) L’œuvre de miséricorde grâce à laquelle on répond ici et maintenant à un besoin réel et urgent du prochain est indéniablement un acte de charité, mais l’engagement tendant à organiser et à structurer la société de façon à ce que le prochain n’ait pas à se trouver dans la misère est un acte de charité tout aussi indispensable, surtout quand cette misère devient la situation dans laquelle se débattent un très grand nombre de personnes et même des peuples entiers; cette situation revêt aujourd’hui les proportions d’une véritable question sociale mondiale.» Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise Catholique § 208 ↵
- Laudato si § 231 ↵
- En 2018, à une enquête auprès de l’ensemble des membres de Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, à la question « Quel est le principe de la Pensée Sociale Chrétienne avec lequel vous êtes le moins à l’aise », 55% des répondants citait la destination universelle des biens. ↵
- Dialogue de sainte Catherine de Sienne cité dans le Catéchisme de l’Eglise Catholique, §1937 ↵