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Qu’est-ce qu’« un salarié acteur de son entreprise » ?

18 avril 2017 Repères chrétiens
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Texte d’une conférence de Nicolas Masson donnée aux membres EDC sur le salarié en tant qu’acteur de l’entreprise.

L’expression « Le salarié acteur de l’entreprise » n’est pas une question. Qui pourrait être contre !

  • Quand vous êtes clients vous vous attendez à ce que vos interlocuteurs s’occupent bien de vous et soient donc acteurs à votre service. Imaginez quelques secondes ce que pourrait-être un repas avec des amis dans un restaurant dont les serveurs ne seraient pas acteurs !
  • Rencontrez-vous beaucoup de salariés revendiquant d’être comme le personnage de Charlot dans les « temps modernes » et qui vous répéteraient mécaniquement « nous voulons être comme des machines et surtout ne pas être acteurs… »…
  • Enfin, connaissez-vous beaucoup de chefs d’entreprises qui souhaiteraient que leurs salariés ne réfléchissent jamais et ne prennent surtout pas d’initiatives. Surtout qu’ils ne soient pas acteurs !

Puisque tout le monde semble d’accord, les entreprises devraient bouillonner d’activité et rayonner de bonne santé. Or, si dans la majorité des cas, cela se passe plutôt bien, les dirigeants gardent le souci de renforcer l’efficacité de leurs équipes et de développer la mobilisation de tous au service des projets de l’entreprise. Pour reprendre le thème, de rendre leur salarié davantage acteur. Plus, les entreprises connaissent à des degrés très divers des refus de responsabilité, de la passivité, de la démotivation dont elles ne peuvent se satisfaire !

A leur service, la littérature managériale est abondante. Qu’elle soit savante avec des titres comme « Traité de la psychologie de l’implication » ou plus simple comme « la motivation pour les nuls ». Remarquons au passage qu’aujourd’hui, il est plus tendance de parler d’engagement que de motivation ou d’implication. Le terme engagement est très fort et ce glissement sémantique n’est pas sans poser question.

Donc, nous ne conclurons pas trop vite que parce que tout le monde souhaite que le salarié soit acteur de son entreprise tout va bien dans le meilleur des mondes. Pour avancer sur ce sujet, nous vous proposons de réfléchir autour de trois questions :

  • Qu’est-ce qu’un « acteur de son entreprise » ?
  • Pourquoi faut-il que les salariés soient « acteurs de l’entreprise ?
  • Comment faire pour que chacun soit « acteur au travail » ?

Qu’est-ce qu’« un salarié acteur de son entreprise » ?

Quand on tape l’expression « salarié acteur » Google nous trouve 6 700 000 occurrences sur la toile avec un florilège d’expressions toutes les plus mignonnes les unes que les autres : le salarié doit être « acteur de sa carrière », « acteur de son entretien annuel », « acteur du changement », « acteur de sa transformation digitale », « acteur de l’environnement », « acteur des processus », « acteur de sa responsabilité », « acteur de son travail » …

Serions-nous alors devant une de ces incantations qui tiennent parfois lieu de pensée managériale ?

Le Robert n’est pas non plus d’une grande aide… la première définition du mot acteur qu’il nous donne est : « Personne qui participe activement à une entreprise, qui joue un rôle effectif dans une affaire, dans un événement… » Cette définition correspond bien au thème mais son ampleur ne fait pas beaucoup avancer.

Paradoxalement, la deuxième définition du questionnaire nous sera plus utile : un acteur est un  « personnage qui joue des rôles à la scène ou à l’écran… ». En effet, par analogie, le théâtre et le cinéma vont davantage nous éclairer sur le sens du mot acteur. Pendant quelques instants faites appel à vos souvenirs et à votre imagination :

  • Pensez à des acteurs sur une scène de théâtre d’un boulevard parisien. Ils ont appris leur texte par cœur et se donnent corps et âmes pour donner la meilleur interprétation d’un rôle… le soir, ils sont épuisés mais contents d’avoir répondu au dessein de l’auteur et à la vision du metteur en scène et d’avoir été applaudis.
  • Remarquez, qu’il n’y a pas un mais plusieurs types d’acteurs. Le panel est large : à un bout, il y a les auteurs-interprètes et à l’autre les marionnettes de guignol qu’on agite au bout des doigts ou que l’on manipule avec grande habileté au bout de fils… entre les deux les improvisateurs qui s’affrontent en matchs, les vedettes, les seconds rôles, les figurants…
  • Vous avez aussi les acteurs du théâtre traditionnel chinois qui portent un masque et suivent avec soin toutes les traditions qu’on leur a inculquées pendant que d’autres font du théâtre d’avant-garde en cherchant à surprendre. Si certains acteurs chantent, les mimes expriment leurs joies et leurs souffrances sans faire de bruit.

La direction d’acteurs de cinéma peut enrichir notre compréhension du « salarié acteur ».

La direction d’acteurs de cinéma peut enrichir notre compréhension. Les plus grands réalisateurs ont des façons de faire très différentes :

  • Pour Fellini ou Tarkovski un acteur de cinéma n’est qu’un matériel qu’on manipule voire qu’on brutalise pour obtenir précisément l’effet désiré.
  • D’autres comme Kusturica laissent à leurs acteurs une très grande liberté, voire leur demandent d’improviser et écrivent le film avec eux au fur et à mesure… Cela peut nous donner les plus grandes scènes. Sans une bonne dose d’improvisation de Lino Ventura et Francis Blanche ainsi qu’une bonne dose d’alcool nous ne nous régalerions pas devant la scène de la cuisine des tontons flingueurs. Il n’y aurait pas de « touche pas au Grisby », « c’est une boisson d’homme » et « y en a ».

Le terme acteur peut donc s’appliquer à des réalités très différentes. Ces écarts sont la source de bien des incompréhensions. Un acteur de théâtre japonais  débarquant dans une pièce de Molière créerait bien du désordre.

Parmi toutes les représentations que nous donne le théâtre de ce que peut être un acteur, quelle est celle ou, quelles sont celles qui correspondent le mieux à ce que nous voulons pour nos salariés : Un rôle d’auteur interprète ? Un rôle de composition ? Un rôle où l’on demande de respecter ? Un rôle d’improvisation ? Et ce rôle, au service de quelle œuvre est-il placé ?

D’autres questions se posent : sommes-nous en mesure d’obtenir de nos salariés qu’ils deviennent les acteurs que nous souhaitons ? Mais aussi : quels types de rôles nos salariés sont-ils capables de tenir ? Et enfin : quels rôles souhaitent-ils vraiment tenir ?

Pourquoi faut-il que les salariés soient acteurs de l’entreprise ?

D’abord, parce que comme chrétien, notre foi nous le demande. La Doctrine sociale de l’Eglise est claire sur ce sujet. Ses exigences nous donnent des éléments précis sur le type d’acteur que nous pourrions mettre en place dans nos entreprises. Sans faire un traité, les textes nous rappellent que :

  • Le travail est avant tout « pour l’homme » et que lorsque l’homme est en situation d’être « pour le travail » il est réduit au rôle d’instrument (Laborem Exercens 6).
  • Si le fruit du travail doit « rendre possible la fondation d’une famille » (Laborem Exercens 10), le travail est aussi « un bien de son humanité – car, par le travail, non seulement l’homme transforme la nature en l’adaptant à ses propres besoins, mais encore il se réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens, «il devient plus homme». » (Laborem Exercens 9)
  • Saint Ambroise va plus loin avec cette phrase magnifique « Chaque travailleur est la main du Christ qui continue à créer et à faire du bien. » (Compendium, 265, Cf. Saint Ambroise, De obitu Valentiniani consolatio)
  • Il s’agit donc de prendre « en considération, dans le processus même de production, la possibilité pour (l’homme) d’avoir conscience que, même s’il travaille dans une propriété collective, il travaille en même temps « à son compte » ? (Laborem Exercens 15)

Il découle de ce qui précède que le travail de mes salariés m’est confié et que je dois en prendre soin. Il s’agit de leur permettre « d’être ce qu’ils sont » et donc faire en sorte qu’ils soient des acteurs libres et entrepreneurs d’eux-mêmes.

 

La seconde raison est l’efficacité. Pour faire face à la concurrence et garder une place au soleil nos entreprises ont besoin de salariés qui apportent toutes leurs qualités et leur énergie au travail et surtout n’en laissent pas une partie chez eux.

Avoir des salariés acteurs, permet de développer la productivité et la créativité pour assurer la rentabilité et la pérennité de l’entreprise. C’est du bon sens, mais cela peut aussi se démontrer. En effet, pour vérifier que des salariés sont vraiment acteurs de leur entreprise le plus simple est de les observer en action et d’échanger avec eux. Les enquêtes d’opinion sont aussi un outil de mesure particulièrement pertinent dont le résultat peut être mathématiquement relié aux critères de performance de l’entreprise.  Ainsi, dans plusieurs sociétés de service lorsque le score de l’engagement monte de deux points, les scores de l’enquête de satisfaction client montent d’un point.

Dans cette analyse la question de l’enquête interne qui a la corrélation la plus forte avec la satisfaction client est celle qui porte sur le sentiment de liberté des salariés ! Bonne nouvelle : plus les acteurs se sentent libres plus ils peuvent être source de performance !

(Dans certaines entreprises, ces corrélations n’existent pas voire sont négatives. Il est vrai qu’il existe des entreprises dont les modèles de performance ne donnent pas toujours un bon/beau rôle à leurs salariés. Et, même si cela va à l’encontre de nos valeurs, la rigueur nous oblige à constater que ces modèles peuvent aussi avoir de bons résultats économiques. Ce constat est très stimulant intellectuellement !).

La troisième raison qui ne sera pas développée ici est que chacun doit veiller à la qualité de fonctionnement de la communauté que forme l’entreprise. L’entreprise est un corps intermédiaire dont la bonne santé est majeure pour la vie sociale de notre pays. Elle est source de stabilité et de lien entre les personnes. Remarquons qu’elle est une des institutions dans laquelle nos contemporains ont le plus confiance. Rendre les salariés acteurs de leur entreprise contribue à ce que cette communauté soit plus vivante, plus solidaire et puisse ainsi mieux jouer son rôle dans la société.

Comment faire pour que mes « salariés soient acteurs de leur entreprise » ?

Développer et partager au sein de l’entreprise une juste conception de l’homme (Une juste anthropologie)

En étant très simpliste, deux grandes conceptions de l’homme s’opposent au sein des entreprises. Chacune d’elles peut se comprendre dans le regard qu’une entreprise porte très concrètement sur chacun de ses salariés.

Dans la première conception, l’entreprise se focalise sur les compétences qui manquent à ses salariés, sur ce qu’il ne fait pas encore,  sur les points qu’il devrait améliorer… Dans la logique de ce regard, elle va développer des méthodes de contrôle, de stimulation voire de coercition pour le faire progresser en travaillant prioritairement sur ses difficultés.

Dans la deuxième conception, l’entreprise s’intéresse d’abord à ce que le salarié réussit, ses qualités, ses ressources et tout ce qu’il a en lui et qui lui permet de réussir. Dans la logique de cette conception, l’entreprise va s’intéresser au potentiel de tous et donner à chacun l’opportunité de libérer ce potentiel.  Elle  mettra en place un fonctionnement basé sur la confiance facilitant la capacité d’initiative et la souplesse des organisations.

Dans la première conception, l’entreprise s’intéresse à ce que la personne n’est pas, dans la seconde à ce qu’elle est vraiment.

Dans les discours, toutes les entreprises rédigent et affichent des textes qui affirment que leur priorité c’est l’homme. Nous ne pouvons que nous louer de ces bonnes intentions et des actions mises en place pour les faire respecter. Dans ce sens, les outils tels que les entretiens annuels, entretiens de progrès, système de rémunération reflètent une conception de l’homme.

Mais de la bonne intention à la réalité, il peut y avoir d’importants écarts. Pour identifier avec objectivité quelle est la véritable conception  de l’homme  d’une entreprise il faut observer ce qui passe vraiment entre les personnes.  Un des points les plus éclairants est le regard que portent les managers – ou nous-mêmes – sur leurs salariés : Ce regard s’intéresse-t-il d’abord à ce qu’est le collaborateur, à ses qualités ou à ses défauts ? A ce qu’il réussit ou à ses manques voire ses échecs ?

Le regard que le manager porte est-il semblable à celui que le Christ a porté sur Zachée et sur chaque personne qu’il rencontra ?

Pour les chrétiens, la question peut se poser autrement, le regard que le manager porte est-il semblable à celui que le Christ a porté sur Zachée et sur chaque personne qu’il rencontra ? « Jésus le regarda et il l’aima » (Marc, 10). Un regard aimant qui prend chaque personne comme elle est et non comme il faudrait qu’elle soit ».

Le choix de développer ce type de regard s’appuie aussi sur de très bonnes raisons. En effet, les enquêtes d’opinion interne nous apportent quelques très bonnes nouvelles :

  • 90% des salariés aiment leur métier et il n’est pas rare que ce score monte au-dessus de 95% y compris dans des métiers difficiles et durs. Récemment dans un atelier d’assemblage au sein duquel le travail était particulièrement répétitif et difficile, 48% des collaborateurs ont déclaré qu’ils aimaient « tout à fait leur métier ». Chez Pragma, nous considérons que lorsque dans une entité, ce score est inférieur à 80%, l’entreprise est en risque.
  • 74% des salariés sont satisfaits de leur travail dans leur entreprise
  • 70% des salariés sont attachés à leur entreprise… (Dans l’opération «  j’aime ma boite » du mouvement Ethic de cette année, le chiffre est de 73%).

Ces réponses nous montrent des leviers de motivation très importants. En effet, quand les salariés aiment ce qu’ils font, ils sont capables de donner le meilleur d’eux-mêmes, d’être efficaces.  Faire ce que j’aime n’est pas très loin de ce qui me permet d’être davantage homme et  être ce que je suis me permet d’être efficace.

L’entreprise peut-elle faire en sorte que les salariés soient davantage acteurs et/ou auteurs ?

Un premier axe est d’éliminer ou limiter ce qui bloque la capacité des collaborateurs à être acteur. Les entreprises et leur environnement développent des facteurs de désengagement qui peuvent aller jusqu’à la  réduction du rôle de leurs salariés à celui de quasi  marionnettes. Sans les développer, ni être exhaustif :

  • Les contrôles et les règles, trop souvent imposés par l’extérieur. Pensons à l’accumulation de règles, normes, contrôles par la puissance publique qui imposent aux collaborateurs de l’entreprise des univers quasi virtuels. Dans le même registre, nous pouvons ajouter l’accumulation des reporting, le pilotage par les seuls chiffres et plus généralement tout ce qui éloigne l’activité de l’entreprise du concret.
  • Les situations paradoxales dans lesquelles sont placés les salariés… ainsi quand on les enjoint d’être créatifs tout en leur demandant de respecter strictement les règles de l’entreprise ou, de faire de la satisfaction client tout en les rémunérant à la quantité. Et plus globalement, tout ce qui conduit les collaborateurs d’une entreprise à avoir le sentiment de ne pas faire du bon travail
  • La spécialisation et l’automatisation qui saucissonnent les tâches, la responsabilité et le sens du travail et plus généralement tout ce qui déresponsabilise.

La taille des entreprises introduit une difficulté complémentaire.  Comment faire pour « agir et penser local » tout en étant global ! De même, les à coup-économiques sont autant de tentation de resserrer les boulons, de faire moins confiance.

Mais nous avons aussi des facteurs positifs à développer.

En effet, certaines entreprises montrent aussi que c’est possible… non pas de créer un monde parfait mais dans un combat incessant préserver la qualité du travail de leurs équipes. Ces entreprises créent les conditions pour que chacun de leurs salariés soit vraiment acteur/auteur de leur travail et ainsi qu’ils puissent aimer leur métier, leur travail, leur entreprise…

Nous aurons des illustrations dans la suite de la table ronde. Vous pouvez aussi vous référer à la série de KTO, « l’entreprise à visage humain » où il y a des exemples magnifiques.

L’attitude du dirigeant, sa posture, sont importantes mais, cela ne suffit pas. Il y a aussi la façon dont le cadre de travail est créé : Quelle est le projet de l’entreprise ? Quelles sont les règles du jeu ? Qu’est-ce qui est vraiment important ? Comment est construite la performance ?…

La Pensée Sociale Chrétienne nous apporte d’autres questionnements. Pour ouvrir quelques pistes :

  • En quoi et sur quoi la subsidiarité inspire l’organisation de l’entreprise ? Comment sont organisées les décisions ? Comment sont définies les responsabilités ?
  • Comment l’autorité est organisée ? A qui est-elle attribuée ? Comment ?
  • Comment la solidarité est-elle facilitée ?



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