Eclairage de fond

La responsabilité ecclésiale partagée dans le protestantisme français

Publié le 31/01/2019

Le protestantisme de tradition réformée en France (à la différence d’autres traditions protestantes) se caractérise par un système de participation de tous les fidèles à l’exercice de l’autorité ecclésiastique.

Pour un regard extérieur, cette forme de participation est souvent identifiée comme étant « démocratique ». Organisées en associations locales, les fidèles d’une Église locale siègent au sein de l’assemblée générale. Par élection, ils choisissent « l’exécutif » local, le Conseil presbytéral, qui choisit par élection le ou les pasteurs. Ils envoient des délégués aux synodes (parlements d’Eglise) régional et national, qui exercent l’autorité supralocale. Les décisions, y compris doctrinales, sont prises par vote, à la majorité des voix.

Le chef n’est pas le peuple souverain, mais le Christ.

Il convient donc de s’interroger sur la notion de « démocratie » et sur son adéquation à la situation de l’Église. En effet, la démocratie est, étymologiquement, le pouvoir du peuple (ou, dans le cadre associatif, des membres de l’association) pour le peuple (pour les membres de l’association). Or, dans l’Église, les membres participants sont appelés à se mettre à l’écoute de la Parole pour proclamer (en paroles et en actes) ce qui permettra à tout un chacun de découvrir le Règne de Dieu. Le chef n’est donc pas le peuple souverain, mais le Christ.

Un discernement communautaire

Roque écrit : « Il ne faut pas établir de lien univoque entre “sacerdoce universel’ et ‘suffrage universel’ : l’expression communautaire est le fruit du discernement communautaire, mais ce discernement peut nécessiter plusieurs étapes, dont le vote est l’une d’entre elles.
Pour les pasteurs de la fin du 17e siècle (…) l’élection humaine ne devrait être que la confirmation et la révélation d’une élection divine et d’une vocation. Le magistrat chrétien est appelé à sa charge : il n’y est pas candidat.

Le conseil (presbytéral), sous sa forme actuelle, est un héritage du grand élan démocratique du 19e siècle. Même dans les Églises qui, dès la Réforme, avaient introduit des laïcs dans le gouvernement ecclésial (en la personne des magistrats ou selon un mode aristocratique ou ploutocratique), les conseils actuels sont le résultat des profonds changements politico-sociaux qui ont sanctionné le passage de l’Ancien Régime à la société républicaine.

Les assemblées des Églises évangéliques préfèrent souvent au terme d’élection celui de reconnaissance

Les assemblées des Églises évangéliques préfèrent souvent au terme d’élection celui de reconnaissance : on n’élit pas un conseiller ou un ancien, on reconnait sa vocation. Il s’agit d’une différence théologique : dimension juridique de l’élection, dimension charismatique de la reconnaissance. On est loin d’une conception démocratique de l’exercice du pouvoir : l’autorité n’est pas déléguée, elle est reconnue. Le modèle n’est plus la société républicaine moderne, mais les communautés chrétiennes des origines et leur mode de fonctionnement (…).

Au niveau des principes, deux théories s’opposent, mais dans la pratique les modalités de choix ne sont pas aussi éloignées l’une de l’autre. Dans la mesure où la plupart des élections sont organisées avec une seule liste complète de candidats, il s’agit plus de la ratification d’une cooptation.

Chaque membre de l’assemblée garde pour autant une réelle responsabilité au sein de celle-ci. Mais l’autorité de l’assemblée locale doit être équilibrée par une autre, par exemple celle de l’assemblée de l’union (c’est-à-dire le synode national), afin d’éviter précisément les risques du congrégationalisme. Il importe donc de bien préciser dans les statuts la nature exacte des relations entre l’autonomie des communautés locales et les responsabilités de l’union.

En outre, dans le régime presbytérien synodal, il importe de tenir compte de l’interdépendance des ministères collégiaux : la Constitution de l’Église protestante unie de France l’affirme dès le préambule : ‘les conseils presbytéraux sont subordonnés au synode national… ainsi qu’aux synodes régionaux’.

L’objectif en termes d’organisation ecclésiale est donc un dispositif qui soit à la fois participatif, collégial et responsable

L’objectif en termes d’organisation ecclésiale est donc un dispositif qui soit à la fois participatif, collégial et responsable, afin de permettre :
Pour chaque assemblée : la participation de tous les membres de la communauté locale à l’expression de ses orientations et des délégués de toutes les communautés locales à l’orientation de l’union,
Pour chaque conseil : la collégialité de la prise de décision, puis la responsabilité effective devant l’assemblée.

La responsabilité des corps élus n’a pas comme seule éventuelle sanction un vote formel de défiance à leur égard, mais peut être sanctionnée lors du vote annuel du budget, lors du vote des propositions d’orientation ou d’action et, bien sûr, lors des élections quadriennales. »

Source : Cahier des EDC Le principe de participation &  Jean-Daniel Roque, La grâce et l’ordre. Le régime presbytérien synodal, Ed. Olivétan : Lyon 2018 – P72-73