La place prise par les réseaux sociaux, l’organisation de débats publics, les initiatives citoyennes pour organiser la vie locale… de nouvelles formes de participation émergent et contribuent à transformer la vie sociale et politique de notre pays. Un regard positif mais aussi critique sur chacune d’elles peut nous conduire à mieux y contribuer voire à nous y investir. En quoi est-ce une transformation profonde ? Qu’est-ce qui est plutôt un effet de mode ? Quels sont les risques ? Quelles sont les opportunités ? Comment en tirer parti pour l’entreprise ?
S’intéresser à la façon dont nos contemporains s’investissent dans la vie sociale et politique est un moyen de comprendre ce qui se joue dans le monde. En effet, l’observation des nouvelles formes de participation est une voie pour appréhender l’évolution des mentalités. Comprendre comment les collaborateurs peuvent agir hors de l’entreprise prépare à mieux prendre en compte leurs attentes et peut inspirer de nouvelles formes de fonctionnement.
Les réseaux sociaux au service de la participation
Aujourd’hui, les canaux d’expression se multiplient. Autre fois le PAF (paysage audiovisuel français) désignait l’ensemble des sources d’information à notre disposition. Désormais notre dépendons plus ou moins largement des « réseaux sociaux » qui non seulement informent mais parce qu’ils sont interactifs, permettent l’expression des citoyens. Chacun peut sur Twitter, Instagram, WhatsApp, ou encore les différents forums ou blog apporter ses idées ou plus souvent réagir aux idées émises.
La participation à cet incessant flux d’échanges dématérialisés est-elle cependant une aide ou un handicap pour discerner ?
Comme le dit le pape François dans Laudato Si’, la « rapidacion » dans laquelle nous entraînent les nouvelles technologies de la communication n’est pas un facteur favorable à la réflexion, au débat serein et au développement humain intégral.1 Les changements ne sont pas suffisamment accompagnés d’un « développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience ».2
Bien plus, « la consommation de l’information superficielle et les formes de communication rapide et virtuelle peuvent également être un facteur d’abrutissement qui nous enlève tout notre temps et nous éloigne de la chair souffrante des frères ».3
Les critiques le plus souvent formulées sur les réseaux dits « sociaux » tiennent surtout aux capacités d’orientation de nos lectures, de notre consommation, y compris culturelle, et du même coup de notre pensée… Le terme « sociaux » lui-même n’est-il pas qu’un « alibi » pour renforcer l’individualisme, chacun restant seul face aux injonctions du système ? La prise de pouvoir sur nos vies de ces réseaux est illustrée dans nombre de films ou romans de science-fiction dont la réalité se rapproche dangereusement de la réalité.
L’éducation à l’usage de ces technologies, bonnes et admirables en elles-mêmes, doit donc faire l’objet d’une grande attention pour ne pas s’en rendre esclaves, et dépendants de leurs fournisseurs… Les dispositions prises pour la protection des données personnelles en Europe en 2018 sont une occasion de prendre conscience des risques découlant de leur captation au profit de quelques-uns.
Dans ce contexte, l’exercice démocratique de la participation « citoyenne » semble également sujet à interrogation, dans la mesure où la première condition en est une bonne information.
Les débats publics
La consultation du public est devenue une obligation en France4 pour les projets ayant un impact potentiel sur l’environnement. Inscrite dans la Charte de l’Environnement adossée à la Constitution, cette disposition précise dans son article 7 que « Toute personne a le droit, dans les conditions et limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
Le champ d’application est large. L’information du public, les débats et enquêtes publiques sont l’occasion de discuter du contenu et des modalités des projets les plus importants.5 Les porteurs de projets doivent ensuite répondre aux observations formulées. Cette obligation conduit les porteurs de projets à tenir compte par avance des enjeux environnementaux et sociétaux et à proposer des solutions minimisant les impacts négatifs ou les compensant largement.
Les conditions d’une réelle démocratie participative6 sont l’information du public, la capacité d’expertise, l’ouverture du débat, l’impact des décisions qui seront prises sur ceux qui participent aux débats, la possibilité d’influer et l’implication dans la mise en œuvre des décisions finales. Le plus souvent, ce n’est qu’une partie de ce processus complet qui est proposée : une information sans capacité d’expertise, qui ne fait qu’aviver des inquiétudes, ou une consultation sans réelle influence sur les décisions, qui ne peut que susciter des frustrations, ou encore une absence de participation à l’application7 de celles-ci, le citoyen restant cantonné dans un rôle mineur.
Au nom de la démocratie participative la participation directe aux décisions est régulièrement préconisée par les responsables politiques. Mais celle-ci peut être une illusion si elle ne pèse pas sur des décisions réelles. Ainsi le « budget participatif » de la Ville de Paris n’est-il qu’une infime partie du budget de la municipalité, soumise au choix des citoyens, sur des propositions diverses d’aménagement ou d’animation très locales.
Leur mise en œuvre devrait donc être évaluée. En effet, les dispositifs déployés pour consulter le public sont lourds8pour un résultat qui n’est pas toujours transparent9. Il donc est légitime de se demander quelle est la pertinence de ces dispositifs. A quelles conditions facilitent-ils la prise de parole des citoyens ? leur permettent-ils de se faire entendre ? Qu’est-ce qui fait que les responsables vont tenir compte de ces conclusions ?
Les nouvelles formes de contributions citoyennes10
En parallèle au recours accru à ces technologies de la communication, parfois réductrices des véritables relations entre les personnes, de nouvelles formes plus humaines de participation se développent, par le rassemblement non pas « virtuel » (ou plutôt « numérique ») mais bien réel (on devrait dire « incarné » ou « physique ») autour d’actions communes et de nouvelles occasions de rencontres : jardins partagés, tels ceux des Colibris11; gestion de « communs » retrouvés ou reconstitués (terres agricoles, immeubles) et gérés selon des principes de gouvernance économique simples engageant les membres d’une communauté. C’est aussi la mise en œuvre de monnaie locale, création de coopérative.
De tels exemples subsistent parfois depuis des siècles et ont permis de sauvegarder l’environnement et les équilibres sociaux et économiques de façon durable. La réinvention de ces critères de gestion, respectant et impliquant chaque participant et permettant une exploitation commune d’un bien, fournit aussi des pistes pour la démocratie locale.
De même que le rappel de notre incarnation, de notre vulnérabilité, de nos émotions, de notre relation à l’autre, qui ne nous constituent comme personne humaine, peut servir de contrepoids aux tentations du transhumanisme, de même le retour à des appels à participation bien ancrés dans la réalité concrète et appuyés sur une réflexion sérieuse peut nous aider à garder le sens de l’engagement citoyen.
Source : Cahier des EDC Le principe de participation
- Encyclique Laudato Si’, pape François, § 18 : « L’accélération continuelle des changements de l’humanité et de la planète s’associe aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie et de travail, dans ce que certains appellent ‘‘rapidación’’. Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes, la rapidité que les actions humaines lui imposent aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution biologique ». ↵
- Laudato Si’ § 105 ↵
- Lettre apostolique Gaudete et Exultate, pape François, § 108, p. 71-72, éd. Parole et silence, 2018. ↵
- La participation des citoyens aux décisions a été codifiée dans des conventions internationales. Ainsi pour les questions d’environnement la convention d’Aarhus organise la mise œuvre du titre 10 de la déclaration de Rio : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens au niveau qui convient ». Ce principe a été inscrit dans le droit français par la loi du 2 février 1995 et confirmée dans la Chartre de l’environnement en 2004. ↵
- Ils sont obligatoires pour tous les projets d’un montant supérieur à 300 millions d’euros. ↵
- Nous retrouvons ici sous une forme proche les conditions qui tendent à rendre pertinente une prise de décision. Celles-ci sont développés en page 48 de ce livret. ↵
- On sait bien l’importance, pour mobiliser les collaborateurs, de leur faire un retour détaillé et argumenté des résultats de leur consultation. Sinon l’effet recherché n’est pas atteint, voire fait régresser leur implication. ↵
- Cette limitation des effets positifs potentiels de la participation du public peut être encore aggravée par l’usage des technologies numériques, qui se substituent au face à face humain, qui est pourtant à la fois enrichissant par la diversité des points de vue présentés et modérateur par rapport à certains excès de langage fréquents sur les réseaux sociaux. ↵
- Dans un autre domaine, celui de la bioéthique, le peu de cas fait par le Conseil National Consultatif d´Ethique de la consultation qu’il avait lui-même organisé fait douter de la sincérité et de la pertinence de tels dispositifs. ↵
- Le développement de démarches citoyennes alternatives fait l’objet de nombreux films ou livres tel « demain » de Mélanie Laurent et Cyril Dion. L’objectif de toutes ces publications est de montrer des expériences prouvant que c’est possible. Dans le même mouvement nous pourrions ranger la multiplication de site dont les auteurs mettent gratuitement à disposition des solutions, des conseils, des astuces… ↵
- Mouvement lancé par Pierre Rabhi en 2007 : ww.colibris-lemouvement.org ↵