La loi Pacte introduit dans le droit français l’entreprise à mission
Publié le 15/04/2020Oeconomicae et pecuniariae quaestiones (OPQ), publié en 2018 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et par le Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral, est le premier grand texte de l’Eglise dédié à la finance. L’objet de la finance est l’apport de moyens à l’activité productive, et notamment celle des entreprises.
Les exigences que rappelle et développe OPQ à l’égard de la finance impliquent donc une réflexion et une action correspondantes du côté de l’entreprise, afin de servir les mêmes objectifs de développement humain intégral, au-delà de la seule considération du profit.
Depuis plusieurs années, on voit apparaître dans certains pays des réflexions autour d’une meilleure gestion de l’entreprise, intégrant non seulement une dimension d’affaires, comptable et financière, mais aussi une dimension extra-financière, dans le sens d’une prise en compte d’éléments extra-financiers dans la conduite des affaires, la stratégie, et la gestion de l’entreprise.
Différentes formes de gestion sont apparues depuis lors mais la plus achevée est celle dénommée entreprise à mission »1 Située au-delà du clivage entre les secteurs lucratifs et non lucratifs, une entreprise à mission met sa performance économique au service d’une mission (sociale, sociétale, environnementale ou scientifique), qui le plus souvent historiquement est mise en œuvre par des entreprises dites de l’économie sociale et solidaire ou par les entreprises mutualistes.
L’entreprise à mission va au-delà des politiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE) développées par les entreprises depuis une vingtaine d’années et conduit à la mise en place de nouvelles règles de gouvernance. L’entreprise assume alors, au-delà de sa recherche de performance économique, la mesure d’impact de ses activités au regard de critères plus larges se déduisant de sa mission.
C’est aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Italie que le mouvement des entreprises à mission a pris le plus d’essor ces dernières années2
La loi PACTE prévoit trois mesures concernant l’entreprise à mission
En France, à la suite d’un rapport commandé par le gouvernement3, la loi PACTE de 2019 s’inscrit dans ce mouvement en prévoyant, entre autres mesures de réforme de la gestion des entreprises, trois mesures sur ce sujet. En premier lieu, elle modifie le code civil afin de prévoir que les sociétés « prennent en considération » les enjeux environnementaux et sociaux dans la gestion de leurs activités.
En second lieu, la loi Pacte permet aux entreprises qui le souhaitent de définir une « raison d’être »4
En troisième lieu, la loi Pacte permet aux entreprises volontaires de se transformer en société à mission. Notre propos ici sera d’explorer le sens de la voie ouverte par cette notion de « raison d’être ».
La réception de plus en plus positive de ces initiatives ne doit pas conduire à négliger les deux principaux risques liés à ce mouvement : d’une part, une récupération à des fins principalement d’image par l’entreprise et, d’autre part, la judiciarisation des relations, du fait de conflits entre actionnaires et parties prenantes (stakeholders) autour des notions d’objet social, d’intérêt social et plus encore de raison d’être.
L’apparition de la notion de « raison d’être » de l’entreprise ouvre aux chrétiens la possibilité de s’interroger sur le sens à donner à cette nouvelle notion et l’opportunité de réfléchir sur les missions des entreprises, au regard non seulement de la conduite des affaires, mais aussi de l’enseignement de la Doctrine Sociale de l’Eglise.
- Geneviève Ferone-Creuzet et Virginie Seghers, L’entreprise à mission, panorama international : des statuts hybrides au service du bien commun, Prophil, 2015. ↵
- Dans ces pays, certaines sociétés ont inclus dans leurs statuts des engagements de long terme, notamment en matière de développement durable (les Benefit Corporations ou B Corp depuis 2010 et les Social Purpose Corporations depuis 2012). De même la Community Interest Company de droit anglais a pour originalité de renfermer un objet d’intérêt général, tout en conservant un but lucratif pour ses associés. D’autres pays ont suivi comme l’Italie qui a introduit dans son droit en 2016 la notion de Società Benefit. ↵
- N. Notat, J.D Sénard, J.B Barfety, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, Documentation française, 2018 ↵
- L’article 1835 c. civ se voit ajouter un alinéa supplémentaire aux termes duquel : « Les statuts peuvent préciser la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité ». ↵