Eclairage de fond

L’explosion des capacités d’information transforme-t-elle notre rapport à la réalité ?

Publié le 18/07/2018

Depuis une trentaine d’années, la circulation de l’information ne cesse de s’accélérer1. Grâce à l’émergence de l’Internet, puis celle des réseaux sociaux, l’usage des outils collaboratifs, enfin la mobilité numérique…, l’information devient abondante, immédiate et gratuite2.

Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une « économie de la connaissance ». De fait, l’évolution de la technologie transforme la façon dont on accède aux données. Si elle concerne moins directement la façon dont on produit la connaissance elle-même, elle modifie profondément notre façon de réfléchir et de connaître. Nous savons pouvoir compter sur le web pour aller chercher une information, que nous ne mémorisons donc plus : le web devient en quelque sorte une mémoire fonctionnelle annexe de notre cerveau3. « Nous déléguons aux moyens techniques une grande part du travail sensoriel. Ainsi les photos nous économisent un effort d’observation, d’écoute et de mémorisation. »

Y aurait-il un homme diminué en même temps qu’un homme augmenté ?

Dans cette nouvelle façon de s’informer, seule une part des « processus cognitifs » sont réellement « augmentés » : l’association d’idées, la perception…, mais quid de l’intuition, du jugement, de la synthèse, de la conceptualisation… ? Sur ces dimensions profondes de l’intelligence humaine (elles gouvernent le rapport au réel), il n’est pas sûr que nous ayons vraiment progressé. Y aurait-il un homme diminué en même temps qu’un homme augmenté ?

Bien plus, l’accumulation incroyable de données crée un univers virtuel qui de médiateur peut devenir un univers de substitution. Nous vivons alors au travers de l’écran « comme dans notre cerveau ». Cette proximité facilite les phénomènes de conditionnement voire les addictions. Elle rend plus difficiles la prise de recul et la perception de la réalité. Le développement d’un monde quasi imaginaire et le surdéveloppement de l’imagination dans le rapport au monde en découlent.

Renforcer la capacité de jugement des collaborateurs

Pour maîtriser ces immenses capacités mises à notre disposition, les entreprises doivent bien sûr développer leur maîtrise de la connaissance, mais aussi renforcer la capacité de jugement des collaborateurs. Pour cela :

  • Maîtriser l’accès aux technologies et organiser l’information dans l’entreprise[185.La maîtrise des nouvelles technologies est une compétence aujourd’hui nécessaire pour être efficace dans son travail. Elle concerne tout le monde et n’est pas qu’une question de génération.]. Au-delà de la capacité à trouver de l’information, être capable d’intégrer des données en nombre de plus en plus important, sélectionner celles qui ont du sens par rapport aux objectifs4 et en organiser la circulation.
  • Développer un sens critique et une capacité de réflexion chez les collaborateurs. Apprendre à comprendre, juger5, évaluer… Le rapport actuel aux médias exige une prise de recul par rapport à l’information : qui en est l’auteur ? quel était son objectif ? dans quel contexte a-t-il produit cette information ? Par ailleurs les réseaux ne sont pas protégés de la démagogie, du parti-pris ou des effets de foule.

La puissance de la technologie ne doit pas fasciner au point de faire oublier la nécessité d’une recherche de la vérité.

La puissance de la technologie ne doit pas fasciner au point de faire oublier la nécessité d’une recherche de la vérité. La technique a une logique en elle-même, la recherche de l’efficacité peut faire oublier la nécessité de rechercher la vérité.

La révolution numérique bouscule les cultures… « Puisse-t-elle ne pas appauvrir l’homme dans le subtil apprivoisement de son mystère, le priver des ressources patiemment accumulées par des siècles d’expériences et la polyphonie des civilisations »6.

  • Rapprocher l’univers numérique et la réalité. La complémentarité des deux univers est à trouver7. Aujourd’hui, plus personne ne pense que ces univers s’opposent, mais tous pensent au contraire à les rapprocher. La juste approche consiste sans doute à se donner les moyens de rester en contact avec le concret et de rapporter le numérique au concret.

Comment maîtriser cette « nouvelle réalité » qu’est le monde numérique. La quête de la vérité « qui consiste à aller au-delà des représentations pour atteindre la réalité » ne devient-elle pas plus ardue ?

Enfin, le développement de la culture de l’image rend difficile la représentation de la vérité en général, et du fait scientifique en particulier : les images frappent, elle ne démontrent pas. Elles s’adressent à nos émotions, pas à notre réflexion.

Questions :

  • Comment nous informons-nous ? Comment prenons-nous du recul par rapport à l’information ?
  • Comment l’accès à l’information est-elle organisée dans mon entreprise ? Comment trouve-t-elle son sens ?

Source : Cahier La dignité de l’homme au coeur de l’entreprise

  1. Nous sommes dans le prolongement du mouvement décrit par Mac Luhan dans La galaxie Gutenberg : l’impression, le téléphone, la télévision, puis la mise en relation des ordinateurs…
  2. Un disque dur d’un Tera Octet peut stocker plus de 330 millions de pages soit infiniment plus que la plus grande des bibliothèque qu’un homme puisse posséder. Chaque consultation internet sur Google met à notre disposition des milliers d’occurrence.
  3. L’imagerie médicale a permis de mettre en évidence les modifications de notre cerveau liées aux nouveaux modes de communication
  4. La connaissance ne vaut que située dans son champ, reliée aux causes et appliquée…, trois dimensions qui ne sont pas disponibles sur le web et demandent un apprentissage et une dynamique individuelle.
  5. Avoir un esprit critique par rapport aux sources est toujours aussi nécessaire mais demande une plus grande attention du fait de leur abondance et de la difficulté plus grande à en contrôler l’origine
  6. Bruno Cazin dans La transition Fulgurante de Pierre Giorgini, éd. Bayard 2014, p 299.
  7. Cette mise à distance du réel est particulièrement vraie dans les grandes entreprises. Comment font les dirigeants pour garder un contact concret avec les équipes quand il y a entre eux et le terrain plus de 5 échelons hiérarchiques ? Comment font-ils pour ne pas être « hors sol » dans leurs analyses, leurs décisions et leurs discours ?