Si la tradition chrétienne ne connaît pas la locution lâcher prise, quels sont les domaines qui s’ouvrent au lâcher-prise dans une perspective chrétienne ?

Mgr Éric de Moulin-Beaufort, archevêque de Reims
Lâcher prise devient la consigne du bonheur. Sans doute parce que jamais l’humanité n’a pu autant prévoir les événements futurs en modélisant le passé, anticiper les effets des décisions, mais aussi parce qu’elle éprouve d’une manière nouvelle les risques de pénurie, le caractère acharné de la lutte pour la première place, le besoin de grossir pour survivre. De plus, un responsable n’a jamais autant été informé en temps réel: cela lui permet de contrôler, prendre la main et de piloter. La tradition chrétienne ne connaît pas la locution « lâcher prise ». Tout au plus « offrir » (son corps en sacrifice saint, Rm 12, 1), « remettre » (son esprit, Jésus sur la croix). Mais trois domaines s’ouvrent au « lâcher-prise » dans une perspective chrétienne.
Accepter les autres pour lâcher prise
Faire confiance à ses collaborateurs et subordonnés, comme le Christ laisse son Église en un sens aux mains de ses apôtres. Cela suppose d’aimer ceux qui travaillent avec soi, d’accepter qu’ils agissent autrement que soi-même, de supporter qu’ils puissent faire moins bien.
Lâcher prise, c’est s’armer de patience
Avoir confiance dans le temps. Parfois, une action ne peut se réaliser parce que ceux qui pourraient y contribuer n’en prennent pas les moyens. Celui qui a raison avant les autres peut s’en agacer. Il peut aussi accepter que les temps ne soient pas encore mûrs, qu’un peu de patience permettra d’y revenir mieux et sans doute différemment. Ainsi en va-t-il de l’« heure » de Jésus, selon saint Jean.
Aimer en acte et en vérité
Mettre sa confiance dans le plus grand que soi. J’organise, j’anticipe, je planifie… mais je ne suis pas ni le maître des événements ni le maître des cœurs et des esprits, et je peux m’en réjouir. La fécondité de l’histoire ne se joue pas dans la réalisation de mes projets mais dans l’œuvre de Dieu qui nous donne d’apprendre à aimer en acte et en vérité, malgré le péché. « Non pas ma volonté, mais la tienne. » Tout faire comme si tout dépendait de soi et tout remettre entre les mains de Celui qui, seul, peut faire tout servir au bien de tous.