Téléchargez ici la fiche Points de repères « la justice fiscale »
A l’issue de la discussion en Commission Repères du 8 février 2019, la présente fiche a été établie afin de partager à tous les questionnements des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens sur ce sujet.
Les revendications initiales du mouvement des Gilets jaunes, les thématiques du grand Débat national, les nombreuses interpellations sur une fiscalité perçue comme injuste ne peuvent que nous interpeller en tant que citoyens, entrepreneurs et chrétiens. Dans le même temps, le gouvernement s’interroge sur la mise en place de nouvelles réformes : réduction des niches fiscales, mise sous conditions de ressources, abaissement du plafond général des crédits d’impôts, etc.
C’est donc tout naturellement que nous pouvons nous poser des questions sur ce thème de la justice fiscale : l’impôt est-il vraiment injuste en France ? l’État taxe-t-il ses contribuables de façon équitable ? A quoi servent les impôts ? Que pouvons-nous discerner dans ces discours pour orienter une action possible ? Quelle parole pouvons-nous porter dans le débat en tant que chrétiens ? Que pouvons-nous envisager pour répondre aux inquiétudes actuelles ?
1/ Quelques repères spirituels
· « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10)
· « Levant les yeux, il vit les gens riches qui mettaient leurs offrandes dans le Trésor. Il vit aussi une veuve misérable y mettre deux petites pièces de monnaie. Alors il déclara : « En vérité, je vous le dis : cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous ceux-là, pour faire leur offrande, ont pris sur leur superflu mais elle, elle a pris sur son indigence : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. » Luc 21, 1-4
· « S’il est vrai que tous naissent avec le droit à l’usage des biens, il est tout aussi vrai que, pour en assurer un exercice équitable et ordonné, des interventions réglementées sont nécessaires, fruits d’accords nationaux et internationaux, ainsi qu’un ordre juridique qui détermine et spécifie cet exercice. » Compendium 173
· L’homme « ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres ». (Gaudium et Spes§69)
2/ l’apport de la pensée sociale chrétienne
2-1/ La question de la justice :
« La justice fiscale ne peut être considérée indépendamment de la justice tout court, ni d’un contexte intégrant ces autres éléments que sont l’ampleur des prélèvements obligatoires, l’affectation des recettes aux dépenses publiques, l’efficacité de ces dépenses et la perception que le public s’en fait. Autant d’éléments inséparables qui rendent difficile la réforme ou la suppression d’un seul impôt. » (cahier des EDC « Fiscalité et justice »)
Personne ne peut vivre seul. C’est un fait. C’est aussi une nécessité pour exister et pour se construire. Créés à l’image d‘un Dieu trinitaire, nous sommes en relation – proches ou lointaines – avec d’autres et dans chacune de ces relations, il y a « échange ». D’où la question : cet échange est-il « juste » ? A-t-il attribué à chacun ce qui lui est « dû » ?
On parlera alors de « justice commutative » qui se définit comme l’ensemble de règles qui, lors d’un échange, assurent l’égalité ou l’équivalence entre ce qui est donné et reçu. Dans ce type de justice les individus sont les premiers artisans mais les instances publiques ont aussi leur responsabilité à prendre car l’égalité de principe existe rarement. C’est pourquoi il entre dans les missions des pouvoirs publics de veiller à une régulation adéquate et effective qui assure la justice.
Pour réaliser une telle solidarité, les instances publiques ont évidemment une responsabilité majeure, mais tous les membres de la société ont également leur responsabilité, en contribuant à la solidarité proportionnellement à leurs disponibilités réelles – ce qui justifie un impôt progressif (dont le taux augmente au fur et à mesure que le revenu s’accroît). Cette justice distributive impose à chacun de jouer le jeu, sans abus ni tricherie, de quelque nature que ce soit…
Dans cet esprit, la Pensée Sociale Chrétienne nous enseigne que l’impôt ne sera juste qu’à trois conditions :
· Qu’il serve des objectifs publics précis, repérables facilement, et qui apparaissent légitimes.
· Que les moyens pour atteindre ces objectifs soient proportionnés, c’est-à-dire sans gaspillage. Gaspiller, c’est pire que voler, car celui qui gaspille ne respecte pas le travail du producteur.
· Que les risques pris par la puissance publique dans ses investissements soient ajustés à la capacité contributive de chacun. La justice fiscale implique que la répartition de l’impôt permette à chacun d’assumer pleinement sa responsabilité de citoyen selon ses moyens sans mettre personne dans une situation financière délicate ou avantageuse.
2-2/ La question du Bien commun :
Dans une optique de bien commun, la fiscalité doit toujours rester au service de la société (sans jamais oublier ceux qui sont les plus fragiles) et de l’environnement dont elle est partie prenante. Avant de construire un système fiscal ou de prendre des mesures fiscales, il s’agit d’abord de déterminer les besoins avec leurs importances diverses et les options prioritaires ; ensuite vient la recherche et la détermination des meilleurs moyens (fiscaux) à mettre en œuvre, en prenant en compte les valeurs de justice et d’équité.
On veillera donc à prendre en compte le développement de tout homme (tous les êtres humains, sans laisser de côté les générations futures) et de tout l’homme (l’être humain dans toutes ses dimensions, tant spirituelle ou culturelle… que matérielle)
2-3 / La destination universelle des Biens :
La légitimité de l’impôt s’enracine ultimement dans les fondements du droit de propriété et dans ses limites en référence à la destination universelle des biens.
La limitation du droit de propriété par le principe de la destination universelle des biens traduit la nécessité d’offrir à chacun les ressources nécessaires à une liberté effective. En effet, la référence à la liberté étant valable pour tous, l’État peut légitimement prélever une partie des biens possédés par ses membres pour financer son action au service du bien commun. Il permet ainsi à chacun de disposer des biens nécessaires à l’exercice de sa liberté et au développement de ses capacités : un environnement favorable pour tous et, parfois, des ressources individuelles pour les plus démunis. L’impôt ne s’oppose donc pas au droit de propriété, il est, au contraire, une des conséquences de l’application à tous de ce qui le fonde et le légitime.
2-4/ La question de la subsidiarité :
C’est ici qu’intervient la question de la subsidiarité. En effet, faute de circonscrire ses interventions, l’État peut empiéter sur les prérogatives propres aux personnes ou aux institutions d’ordre inférieur, comme les entreprises, les associations ou même les familles, etc.
Dans la crise que nous traversons, on voit bien que l’extension excessive des domaines d’intervention de l’État (ou l’inefficacité de son action) affectent la légitimité de l’impôt et, partant, son acceptabilité. Il peut arriver en effet que les prélèvements correspondants aient un effet négatif par exemple lorsque le bien créé par l’usage ne compense pas ceux dont se privent ceux qui les payent. Des investissements dont l’utilité sociale est discutable, des aides sociales trop généreuses, des prestations assurées par la puissance publique à des coûts injustifiés privent autrui ou la communauté de biens qui auraient pu résulter d’un usage efficace des ressources correspondantes.
3/ Discussion et questionnement pour les entrepreneurs et dirigeants chrétiens
Pour nous, entrepreneurs et dirigeants chrétiens, le pouvoir d’achat résulte d’abord de la création de richesses, qui constitue notre vocation : engager des capitaux, prendre des risques pour permettre à d’autres de vivre décemment de leur travail.
Le rôle des entreprises est donc au cœur du sujet de la justice fiscale. Plusieurs sujets et questions se posent à nous entrepreneurs et dirigeants :
- Sommes-nous convaincus aujourd’hui de la nécessité de faire des efforts pour une plus grande justice fiscale mais à condition qu’il y ait une vision pour le bien commun
- La recherche du Bien commun peut-elle nous aider à nous interroger sur les pas supplémentaires que nous pouvons faire en termes de partage ?
- Nous sommes dans une crise de confiance qui laisse se développer les contre-pouvoirs comme les propos démagogiques dans le débat public. Quels moyens/engagements/ positions prenons-nous pour ne pas laisser la parole aux seuls extrêmes ?
- Quels sont les critères en matière de justice fiscale qui permettraient de rétablir la confiance et de responsabiliser au plus haut niveau les décideurs ?
- Comment mettre en place une pédagogie permettant à chaque collaborateur de mieux comprendre l’économie de l’entreprise mais aussi de la politique fiscale actuelle et les questions qu’elle pose en termes de justice ?
- Comment garantir que les efforts que chacun serait prêt à faire ne seront pas gâchés par des dépenses dont personne ne comprend l’utilité. Aujourd’hui, le danger vient de ce que chacun peut se dire « mon intérêt est supérieur au bien commun » pour justifier des comportements contre-productifs et parfois irresponsables.
- La dignité de la personne passe par la contribution au bien commun. Si la protection des plus faibles n’est pas un débat, ne faudrait-il pas demander à chacun de contribuer selon ses possibilités pour tout service rendu ? Par exemple, faudrait-il envisager que tout le monde paye l’impôt sur le revenu ?